Hisato Nishii est investi d’une lourde mission: déclarer la saison des cerisiers en fleurs ouverte dans sa ville de Mito, au nord de Tokyo. Chaque jour, lui et d’autres «inspecteurs» scrutent l’état d’éclosion des bourgeons à travers le Japon.
L’Agence météorologique nationale se livre à ce rituel depuis 1953, en désignant dans chaque localité un arbre de référence, gardé secret pour éviter les canulars.
Au début du printemps, «nous venons une fois par jour, puis quand les bourgeons commencent à s’épanouir, nous venons à 10 heures du matin et à 3 heures de l’après-midi», raconte Hisato Nishii, tout en se livrant à un examen minutieux des roses et blancs «sakura». «Nous les observons attentivement afin de ne pas rater l’ouverture d’un bourgeon et dès qu’il y en a cinq, six ou plus dans ce cas, nous annonçons officiellement le début de la saison», explique-t-il.
Malgré des années de pratique, prédire la floraison n’est pas une science exacte, car une averse peut ruiner les délicates fleurs en devenir, tandis qu’une soudaine vague de froid peut retarder de quelques jours leur apparition. Dans l’île méridionale de Kyushu, les festivités sont traditionnellement lancées dès le début du mois de mars, tandis que la région septentrionale de Hokkaido doit souvent attendre fin mai, une vague traquée par des bulletins météo spéciaux.
Symbole de fragilité
Partout, la même fièvre s’empare des Japonais, qui se pressent en foule dans les parcs pour pique-niquer sous les cerisiers en fleurs et les contempler, selon la coutume multi-séculaire du «hanami» (littéralement, regarder les fleurs). Les touristes sont aussi nombreux à planifier leur séjour dans l’archipel à cette époque de l’année. Dans les magasins, les produits aux couleurs des sakura envahissent les rayons, des canettes de bière roses aux friandises aux motifs floraux.
«Les sakura sont ancrés dans l’esprit des Japonais car ils surviennent à un moment où beaucoup entament un nouveau chapitre de leur vie», souligne M. Nishii. Début avril sonne la rentrée scolaire et le début d’une nouvelle année pour les entreprises, quand les jeunes diplômés étrennent leur premier emploi et que s’opèrent les mutations des salariés.
L’éphémère saison, qui ne dure qu’une semaine environ, symbolise aussi la fragilité de l’existence. «C’est très court, c’est pour cela que les sakura nous émeuvent, et quand les fleurs s’envolent, nous sommes saisis d’un sentiment mélancolique de perte», confie l’inspecteur. Alors avant, la fête bat son plein. A Tokyo, les parcs se sont déjà emplis cette semaine des rires et conversations des groupes d’amis, familles et collègues trinquant pendant des heures sous les majestueux cerisiers.
Dans le quartier d’Ueno, un des hauts lieux de la capitale pour admirer les sakura, Yusuke Kinoshita a réservé un endroit de choix, déployant une bâche en plastique sur le sol. «Je bois depuis 10 heures du matin», sourit cet employé d’hôtel de 39 ans, venu directement après le travail. «Selon la tradition japonaise, les collègues les plus jeunes gardent la place jusqu’à ce que leur patron les rejoignent». «Nous buvons parce que c’est la saison des sakura, nous buvons parce que c’est le printemps», s’amuse-t-il.
Le Quotidien/AFP