Elle a 19 ans, lui 48. L’année dernière, Francis of Delirium, aux inclinaisons grunge, voyait le jour au Luxembourg. Un groupe branché sur 220 volts qui avance plus vite que les autres. Rencontre avec sa guitariste-chanteuse, impatiente de rejouer «pour de vrai».
Parmi les groupes «made in Luxembourg» qui se succéderont aux Rotondes en août, Francis of Delirium attire l’attention. À sa tête, un singulier duo : Jana Bahrich, chanteuse-guitariste de 19 ans, et à la batterie, Chris Hewett, 48 ans. Ensemble, avec un bassiste en soutien, ils concoctent un rock mordant, qui lorgne vers le grunge. Une orientation sensible qui porte ses fruits puisque dès son premier single, Quit Fucking Around, le duo a signé chez Dalliance Recordings – qui vient aussi de sortir son EP All Change. Confidences de cette jeune passionnée de musique, heureuse de retrouver la scène aux Congés annulés.
Beaucoup de groupes locaux jouent à nouveau ce mois-ci. Pour vous, est-ce une forme de libération ?
Jana Bahrich : C’est certain ! Jouer en live, devant un public, c’est quelque chose d’essentiel dans la vie d’un musicien. Comme d’autres, durant le confinement, je suis passée par le streaming, c’était nécessaire, mais franchement, être avec sa guitare devant deux mecs à la caméra, ce n’est pas vraiment la même sensation… On a même joué devant des voitures, et ça, c’était franchement bizarre ! J’attends de me retrouver dans une configuration « normale », d’être face à des spectateurs, et de tout donner pour eux.
Musicalement, qu’avez-vous fait durant les trois mois de confinement ?
Déjà, on a sorti notre premier disque. Et on a travaillé sur le prochain EP, qui devrait sortir à la rentrée, en septembre ou octobre. On avait déjà un peu bossé dessus avant le confinement et quand tout s’est arrêté, on s’est dit : « C’est le bon moment pour mettre un coup d’accélérateur… ». Du coup, il est prêt ! Bref, on n’a pas chômé.
All Change est sorti il y a un mois. Sortir de cette crise avec un album, c’est un geste qui compte pour vous ?
Face à la crise que l’on traversait, c’était important d’aller de l’avant. J’avais ces chansons sous la main et je voulais les dévoiler, les partager, les laisser avancer sans moi. C’est d’autant plus vrai que cet EP évoque une période particulière de ma vie. En sortant ce disque, d’une manière, je m’en libérais et pouvais ainsi passer à autre chose.
En cinq chansons, vous confirmez votre goût prononcé pour le grunge et le rock des années 90. Vous n’êtes pas un peu trop jeune pour écouter ça ?
(Elle rigole) Peut-être, mais le grunge a su, aujourd’hui, se construire une nouvelle histoire, sans que le poids du passé soit trop présent. D’ailleurs, beaucoup de femmes s’en emparent, avec réussite, comme Courtney Barnett, Snail Mail, Lucy Dacus, Soccer Mommy… Bien sûr, j’écoute aussi des trucs des années 90, comme Pearl Jam, Hole, Pavement. Et puis, je fais confiance à mon batteur, qui a presque 30 ans de plus que moi, pour me brancher sur de « vieux » sons. D’ailleurs, Francis of Delirium peut être vu comme ça, un mélange d’anciennes et de nouvelles sonorités, qui tissent leur propre vérité. D’ailleurs, ce mix prendra encore plus de sens dans le prochain EP, à l’identité plus affirmée, notamment grâce à l’apport des synthétiseurs.
Vous parlez souvent de l’importance du DIY (Do It Yourself). Aimez-vous tout maîtriser ?
Oui, tout à fait. D’ailleurs, j’ai même fait toutes les vidéos qui accompagnent All Change, sinon, ça aurait été la panique (elle rigole). Et puis, j’aime aussi comprendre tout ce qui touche la création d’un son, par exemple. Comment mieux faire sonner une guitare ? Comment donner de l’ampleur à un morceau ? Cet apprentissage est essentiel.
Vous avez seulement 19 ans et vous avez écrit votre première chanson à 12 ans. La musique est-elle quelque chose de naturel chez vous ?
J’ai commencé à jouer du violon à 5 ans et, quatre années plus tard, je ne pouvais plus supporter mon professeur ! Du coup, sur YouTube, je me suis mise au banjo, au piano… C’était sympa d’être seule, de s’imposer des challenges sans qu’il y ait quelqu’un sur votre dos pour vous dire : « c’est bien, c’est mal ». Le rock, lui, s’est imposé après de longues écoutes dans la voiture où ma mère passait en boucle les Beatles, Nirvana…
Qu’est-ce que vous aimez tant dans le rock ?
Le ton et le feeling, ce sentiment puissant qui vous anime, quelque chose qui tient même de l’ordre du physique. Une manière, finalement, de s’échapper, de tout oublier en chantant et en martelant sa guitare. C’est certain, plus tard, j’aimerais faire une musique plus complexe, pourquoi pas, même, avec un orchestre. Mais être là, devant des gens, simplement avec un micro et une guitare, c’est intense ! Là, corps et musique ne font qu’un.
Francis of Delirium, c’est aussi Chris Hewett, votre batteur, qui a presque 30 ans de plus que vous. Ce n’est pas banal… Comment expliquez-vous votre entente ?
J’étais avec ses enfants à l’école, ça ne s’invente pas (elle rigole). Lui, qui a commencé la musique à trente ans, n’avait pas de groupe attitré, préférant les « jam sessions ». Quand j’ai commencé à écrire de la musique sérieusement, des trucs dont j’étais fière, il s’est tourné vers moi et on a bossé ensemble. Tout est finalement parti d’un concert où je lui ai demandé de m’accompagner à la batterie. Et voilà où on en est maintenant! Je ne sais pas s’il y croit encore aujourd’hui ! Mais avec lui, tout coule de source, la connexion est comme naturelle.
Cet été, les concerts vont se dérouler devant un public assis. Quand on fait du rock, n’est-ce pas décevant ?
C’est sûr, particulièrement avec ce genre de musique. Le pire, c’est que notre dernier concert était ici, aux Rotondes, le 8 mars dernier. Et c’était de loin le meilleur ! Les gens étaient à fond, dansaient… Un concert, ça reste, à la base, une question d’échange entre l’artiste et le public. Mais quand les spectateurs sont assis, c’est perturbant. Heureusement, j’ai à mes côtés un bassiste qui est toujours à fond, quelles que soient les circonstances. Je peux le regarder et me dire : « OK, allons-y ! ».
Quelles sont vos attentes pour l’avenir ?
Cette pandémie a ralenti les choses : j’aurais dû normalement partir en tournée en dehors du Luxembourg, mais là, on ne sait pas trop quand ça va être de nouveau possible. Après, je n’ai pas de folles attentes. Ma seule envie, c’est de jouer devant des gens. Ah oui, je fais aussi de la peinture et j’aimerais continuer à en faire.
Il y a un concept à lancer : d’un côté, du rock et, de l’autre, de la peinture. Les deux en direct, sur scène…
(Elle rigole) Je vais y songer, même si les Velvet Underground l’ont déjà fait. Bon, il va falloir que je trouve une Nico !
Entretien avec Grégory Cimatti
Rotondes – Luxembourg. Le 20 août à 20 h.