Tirée du dernier ouvrage de Charb, la lecture-spectacle « Irresponsable », mise en scène par Gérald Dumont et coproduite par la Kulturfabrik, aura finalement sa place dans le «Off» du festival d’Avignon.
Le 5 janvier 2015, deux jours avant que les frères Kouachi ne tuent la quasi-totalité de la rédaction de Charlie Hebdo, Charb terminait la rédaction de ce qui deviendra son dernier ouvrage, Lettre ouverte aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes. Deux ans plus tard, Gérald Dumont en a fait une lecture-spectacle, pour faire «vivre sa parole». Interview croisée de Serge Basso, président de la Kufa, et Gérald Dumont.
Il a été compliqué pour vous de produire le spectacle en France. Vous avez même failli renoncer à jouer au festival d’Avignon. Pourquoi ?
Serge Basso : Pour être honnête, nous n’avons jamais eu de réponse précise, claire, nette, engagée, de la part de ceux qui ont pris la décision de refuser notre venue au festival. On ne sait pas exactement, mais on peut imaginer que cela l’ait été par peur tout simplement. Une peur légitime au demeurant mais qui soulève une question : « Faut-il avoir le courage de dire les choses ou vaut-il mieux se taire ? » C’est toute la question de la liberté d’expression qui est posée là.
Gérald Dumont : En fait, il y a eu une multitude d’événements qui ont précédé Avignon et qui ont conduit à ce que l’on soit aussi déçu ! À Lille et Arras, par exemple, il y a eu des annulations. L’idée n’est pas d’être d’accord, ou pas, avec les propos de Charb, mais justement de pouvoir débattre autour de ce qu’il a soulevé dans ce texte. Qu’est-ce que le racisme ? L’islamophobie ? Que pensait-il de la religion et des croyants ? Nous avons été face à une « censure sécuritaire », parfois assumée, mais pas toujours. À Avignon par exemple, il n’y a jamais eu d’annulation. Des théâtres comme La Manufacture ou l’Entrepôt se sont montrés très intéressés au départ et du jour au lendemain, il y a eu un silence radio. C’est ce malaise, ce mépris, qui a été difficile à supporter. Ils ont fini par évoquer des « raisons artistiques » alors qu’ils n’ont même pas vu le spectacle !
C’est important pour vous, que ce spectacle soit joué à Avignon ?
S. B. : J’ai envie de vous dire qu’il est important qu’il soit joué tout court en fait ! L’idée n’est pas forcément de plaire, mais de favoriser le débat. Le texte de Charb, c’est une ode à la liberté de croire, une ode à la liberté de blasphémer, une ode à la liberté de débattre et même de se moquer de soi ! Donc c’est quand même un comble, après ce qui s’est passé le 7 janvier 2015, que ces textes subissent la censure ! Je veux dire… cet ouvrage a quand même été finalisé deux jours seulement avant l’horreur qui a frappé la rédaction. C’est quand même fou ! Deux ans après, je suis toujours personnellement profondément touché par ce qui s’est passé. Et je tiens absolument à défendre toutes les formes de liberté d’expression. Il faut que les paroles s’expriment !
G. D. : Avignon doit être un lieu d’échange et c’est en ça que la diffusion de la parole de Charb – qui, au demeurant, a passé sa vie à se justifier de n’être ni raciste ni islamophobe – est nécessaire. Parce que la parole de Charb dérange. On s’en est rendu compte quand il a été question de produire le spectacle. La représentation à Avignon est d’autant plus importante qu’elle a essuyé des refus et a dû se confronter à des polémiques.
Le problème a finalement été résolu. Mais même si vous jouerez au théâtre de l’Oulle, la lecture n’est prévue qu’à 23h30. Dommage, non ?
S. B. : La décision finale n’a été prise que tardivement et toute la programmation était déjà faite, c’est pour cela que nous jouons si tard. Mais je ne doute pas qu’il y aura du monde et, selon moi, cette histoire va faire un buzz !
G. D. : Les dirigeants du Théâtre de l’Oulle nous ont dit : « On veut l’équipe de Charlie ! » On a donc fait tout notre possible pour la réunir… Pour ce qui est de l’horaire, on voulait avoir le dernier créneau pour pouvoir ouvrir le débat. Il n’était pas question de devoir terminer la lecture sans discussion après. Cela nous convient très bien.
Une partie de l’équipe de Charlie Hebdo sera présente, notamment après les représentations, pour interagir avec le public. Pouvez-vous nous dire qui sera là ?
S. B. : On a annoncé Pelloux (et d’autres)… mais on n’a pas les dates exactes donc je ne préfère pas faire d’annonce officielle. Moi, je serai là le 14 pour participer au débat…
G. D. : Nous avons décidé de ne pas dire quel invité serait présent quel soir, d’abord parce que nous considérons que tous se valent. Mais aussi pour permettre aux gens qui assistent à la représentation d’être un peu « surpris ». Ils ne savent pas avec qui ils vont échanger, ils ne choisissent pas le jour où ils assisteront au spectacle en fonction de qui sera là à la fin. Il n’y a pas de tête d’affiche.
Comment le spectacle avait-il été accueilli par le public luxembourgeois (le 27 avril 2016 à la Kufa, NDLR) ?
S. B. : Il y avait eu du monde. Ça s’était bien passé.
G. D. : Je n’en ai pas un très bon souvenir, mais ça n’a rien à voir avec le public (il rit). Je crois que je n’étais pas au top de ma performance !
Entretien avec Sarah Melis
Lecture-spectacle « Irresponsable »
Lecture-spectacle tirée du texte de Charb, suivie d’un débat avec une partie de l’équipe de Charlie Hebdo, dont Marika Bret et Patrick Pelloux.
Théâtre de l’Oulle – Avignon. Du 14 au 18 juillet à 23h30.
Pièce « Irresponsable »
Introspection du metteur en scène avec sa pièce Irresponsable, qui revient sur les difficultés vécues par l’équipe organisatrice pour se faire une place au festival d’Avignon.
Théâtre du Verbe Fou – Avignon. Le 19 juillet à 22h30.