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[Cinéma] Il Colibri, le grand tourbillon de la vie


Pierfrancesco Favino incarne Marco, un homme accablé par son passé, incapable d'avancer dans sa vie.

Véritable succès en Italie, Il Colibri raconte, à grands coups de flash-back, l’existence de Marco Carrera, homme intègre mais perdu, qui encaisse les pires coups du destin.

L’Italie aime les mélodrames fleuves, familiaux ou fraternels, à l’image de la célèbre fresque d’Ettore Scola de 1974 (C’eravamo tanto amati) ou celle, encore, de Marco Tullio Giordana, primée au festival de Cannes (La meglio gioventù, 2003). En voilà un nouveau, qui brosse, de la fin des années 1960 à 2030, l’histoire chaotique et tragique d’un homme candide, bon sous tout rapport, dont les coups du sort permettent d’aborder toute une liste de sujets universels et fédérateurs : la passion, la culpabilité, le deuil, la fidélité, l’amour paternel… De quoi toucher les âmes et les cœurs d’un large public, comme ce fut le cas au dernier festival de Villerupt, d’où le film est reparti avec l’Amilcar de la Ville.

En outre, Il Colibri, avant de triompher sur les écrans transalpins, était déjà une œuvre à la sérieuse réputation : celle du romancier Sandro Veronesi, qui lui permettra de rafler son second prix Strega (l’équivalent du Goncourt en Italie) en 2020 après Caos calmo, déjà adapté au cinéma par Antonello Grimaldi. Un livre que Francesca Archibugi, la réalisatrice, confie avoir lu avant tout le monde, mais comme beaucoup d’autres, dont les deux acteurs principaux, tous apparemment amis de l’auteur. Chacun son tour loue en tout cas cette écriture sans intellectualisation excessive, nette, claire et réaliste.

C’est un mélodrame à l’italienne, avec cette ampleur familiale, ces récits à tiroirs, ces secrets enfouis…

Celle qui va suivre les pas hésitants de Marco Carrera (Pierfrancesco Favino), surnommé dès son plus jeune âge «colibri», d’abord pour sa petite taille, ensuite pour sa capacité «à faire du surplace au moment de faire des choix», dixit Francesca Archibugi. Il a une excuse : le violent traumatisme et la culpabilité qu’il porte en lui depuis la mort de sa sœur, car dans sa famille, «c’était le seul à voir qu’elle allait mal». En grandissant, malgré ses grosses lunettes cerclées de noir, il ne voit rien (ou refuse de voir) : les mensonges maladifs de sa femme, le trouble psychique de sa fille, le mutisme de son frère, l’échec de son mariage et de sa relation à distance, pure, avec Luisa (Bérénice Bejo), son amour de toujours. Un aveuglement rompu par un psychologue (Nanni Moretti), qui l’oblige alors à regarder ses illusions en face.

Un homme qui, pour la réalisatrice, «crée le désastre en voulant le bien, en se dédiant aux autres». L’acteur (devenu l’un des visages des démons mafieux, de Romanzo criminale à Il Traditore en passant par Nostalgia) prolonge : «Il a un rapport thérapeutique au monde» et «réussit à rester fidèle à ses principes intimes face aux épreuves de l’existence», faite d’amour absolu, de pertes et de coïncidences. Il est d’ailleurs le seul parmi les siens à tenir la barre, coûte que coûte, et comme le petit oiseau, consacrer toute son énergie pour se maintenir à flot. Et en tant que médecin, «il est bien plus doué pour prendre soin des autres que pour laisser les autres prendre soin de lui».

Il Colibri, pour Bérénice Bejo – qui, dans le film, passe sans sourciller du français à l’italien – est un «mélodrame» qui s’assume avec cette «ampleur familiale, ces récits à tiroirs, ces secrets enfouis». Histoire de garder en état ce grand puzzle, la réalisatrice multiplie (avec abus) les allers-retours entre passé et présent car«quand on se penche sur notre vie, nos souvenirs ne sont jamais chronologiques, mais se reconstruisent dans le désordre». Une manière aussi, toujours selon elle, de montrer toutes les facettes du personnage, qui n’est pas «univoque». «J’aime les films qui n’expliquent pas tout, qui laissent traîner des fils. Au spectateur lui-même de faire les nœuds!»

Dans son entreprise de tricotage, il verra sûrement deux sujets qui alimentent les débats : le droit de se donner médicalement la mort, et celui de la masculinité, ici en crise, avec cet homme qui navigue entre un père absent et se retrouve souvent entouré de femmes, dont il se nourrit des «ondes énergétiques», selon la réalisatrice. Pierfrancesco Favino se veut plus concret, lui qui incarne ce personnage «qui n’a pas peur de son côté maternel» et s’attaque de front aux clichés : «Quand on pense au cinéma italien, certains imaginent tout de suite l’énergie vitale, la sensualité… Ce que je trouvais intéressant, c’était cette autre façon de voir la masculinité italienne, non plus vue à travers le prisme canonique du machisme, du père de famille».