La réalisatrice Sepideh Farsi imagine la rencontre passionnelle entre un Syrien fuyant son pays en guerre et une policière qui survit dans une Grèce en crise. Coproduit par Tarantula, I Will Cross Tomorrow raconte l’actualité, mais oublie d’habiller la fiction.
Ils sont très nombreux à traverser la Méditerranée pour venir chercher refuge en Europe. En Italie, comme à Lampedusa, tristement célèbre aujourd’hui, mais aussi en Grèce, sur de nombreuses îles. Ces dernières enregistrent même une nette augmentation des demandeurs d’asile depuis la décision de la Turquie d’ouvrir les portes de l’Europe aux migrants.
En provenance de Syrie (une majorité), d’Iran ou d’ailleurs, ces exilés se cherchent un Eldorado, mais trouvent souvent des camps surchargés, aux conditions de vie désastreuses, à l’instar de la «jungle» de Calais ou de celui de la Mória, à Lesbos. C’est justement sur ce morceau de terre, à l’apparence idyllique, et sur cette actualité toujours brûlante que se pose la caméra de Sepideh Farsi qui, formée au documentaire, s’appuie parfois sur des images d’archives pour habiller sans rupture la narration – comme elle l’a déjà fait dans son film Red Rose (2014).
Là, elle suit Maria, policière grecque et mère célibataire qui peine à joindre les deux bouts, sous les regards de sa fille adolescente et de sa mère. Son visage est dur, son sourire absent et ses soucis matériels se règlent difficilement, malgré son trafic de passeports, au cœur d’un pays où la corruption semble généralisée. Derrière elle, la radio égrène les mauvaises nouvelles d’une nation rongée par la crise économique.
Mais la situation de Yussof n’est guère plus enviable. Jeune Syrien, il a décidé de quitter les siens, car, comme il le raconte plus tard à un policier, il refuse «de tuer». En l’occurrence, d’exécuter un contrat. À la solde de qui ? Contre qui ? Le film ne le précise pas. L’important tient dans son départ, sa fuite même, direction la Turquie puis la Grèce. Aux confins de la mer Égée, il rencontre Maria. Entre ces deux électrons libres, la collision est immédiate. Ces êtres que tout sépare, perdus dans un monde aride, s’apportent mutuellement du réconfort, se complètent. Du moins un temps…
En lançant son film avec deux symboles évidents (le vol d’oiseaux migrateurs et l’arrachage d’un arbre centenaire), l’Iranienne Sepideh Farsi – elle-même déracinée – ne cache pas son intention : parler de l’exil à travers la réalité sociale du flux migratoire vers l’Europe. De rupture, de traumatisme, de perte aussi, comblés ici par un amour éphémère.
«Cet endroit, c’est l’enfer !»
Réalisé entre Athènes et Mytilène, I Will Cross Tomorrow s’attache donc particulièrement à deux pays, qui se croisent dans une cruelle vérité. D’un côté, la Grèce, minée par son déficit public et qui, depuis plus de dix ans, enchaîne les plans de sauvetage et les politiques d’austérité. De l’autre, la Syrie, en proie à une interminable guerre civile, face à laquelle sa population prend massivement le chemin de l’exode (on estime que cinq à six millions de personnes ont fui le pays).
C’est donc à fleur d’eau (et parfois dans les barbelés) que la cinéaste – qui s’affranchit là, pour la première fois dans son œuvre, du contexte iranien – développe son récit, coincé entre réalisme et envolées poétiques (comme son confrère Abbas Kiarostami). Elle filme les imposants ferrys partant vers d’indéfinis horizons sous un soleil de plomb, devant des migrants et autorités locales bloqués au sol, avec pour seul panorama ces vastes zones portuaires, grises et sans âme.
Dans ces conditions, pourquoi donc partir? C’est la question que pose ouvertement Sepideh Farsi à travers le personnage de Yussof, qui sera interpellé par un de ses compatriotes, tombé dans la vente de drogue, d’un catégorique «cet endroit, c’est l’enfer!». En explorant également la figure de «l’autre», la réalisatrice, certes, met en scène deux belles figures, convaincantes dans leur quête et leur amour (Marisha Triantafyllidou et Hanna Issa), mais oublie malheureusement de donner du poids à l’habillage.
Comme animée par le même souffle vital que ses personnages centraux, elle va trop vite en besogne, néglige la périphérie et les rôles secondaires (le père, la fille, la mère), perd aussi quelques pièces du puzzle en route. Comme si l’histoire était dépassée par la réalité. Dommage, car l’intention était louable. Elle dédicace d’ailleurs son long métrage, non pas au petit Aylan, mort sur une plage grecque après un naufrage, et dont l’image a marqué le monde entier, mais à Bassel Shehadeh (1984-2012), réalisateur et activiste syrien, qui a décidé de retourner dans son pays et d’y mourir, caméra au point. Le titre du film est celui de l’un de ses courts métrages.
Grégory Cimatti
I Will Cross Tomorrow, de Sepideh Farsi.