Hong Kong, deuxième marché de l’art en Asie, a retrouvé son dynamisme lors de son édition de la foire Art Basel, enregistrant des millions de dollars de transactions dans une ville où l’expression politique artistique est pourtant réprimée par la loi.
Plus de 86 000 visiteurs ont arpenté les halls d’exposition de la foire internationale d’art contemporain Art Basel à Hong Kong, la semaine dernière, qui a retrouvé son ampleur pré-pandémie avec des ventes de plus de 98 millions de dollars (deux fois supérieures à 2019), rapportées par la manifestation. Parmi les œuvres vendues, la Fillette au béret de Picasso, cédée à 5,5 millions de dollars, ou encore une des célèbres citrouilles de la Japonaise Yayoi Kusama acquise pour 3,5 millions, selon les données divulguées par la foire. Publiées à la discrétion des galeries, les transactions conclues n’ont cependant pas toutes été communiquées, comme le prix de la «sculpture cinétique» de Beeple, mise en vente à 9 millions de dollars.
«L’Asie est le marché de l’art qui se développe le plus rapidement au monde», déclare Angelle Siyang-Le, directrice d’Art Basel Hong Kong (ABHK). «Regardez la qualité des visiteurs», s’enthousiasme Sébastien Carvalho, directeur de la galerie parisienne Mitterrand, installé près d’une Nana blanche de Niki de Saint Phalle. «Des gens de toute l’Asie viennent ici, des collectionneurs de très haute volée» qui n’ont «pas peur de mettre les moyens», commente-t-il.
Hong Kong a totalisé plus de 1,16 milliard de dollars aux enchères en 2022, derrière Pékin (2,01 milliards), selon la société d’analyse Artprice. Mais les libertés individuelles ont été sévèrement restreintes dans le centre financier depuis que Pékin a imposé sa sévère loi de sécurité nationale après les manifestations prodémocratie de 2019. La loi de 2020 «a créé une autocensure dans l’industrie créative», déplore Kacey Wong, un artiste ayant quitté la ville en 2021 en raison de la répression. «Ce n’est pas parce que les montants des ventes à Art Basel sont bons que cela signifie que Hong Kong est de retour», assène-t-il, car «les artistes se tournent plutôt vers des sujets ornementaux et colorés pour éviter les lignes rouges» de la loi.
La semaine dernière, une œuvre d’art où figuraient les noms de manifestants emprisonnés à Hong Kong a été retirée d’un immense panneau d’affichage du cœur de la ville. Les responsables de la foire, en revanche, ont assuré que la censure n’avait «pas eu d’impact» sur leur travail. «Nous sommes confiants dans le fait que nous fonctionnerons de la même manière qu’auparavant», a déclaré Angelle Siyang-Le.
Le prix moyen d’une œuvre y est toujours plus élevé que partout ailleurs sur terre : 280 000 dollars
Pendant que Hong Kong était paralysée par ses restrictions sanitaires drastiques, certaines mégapoles voisines se sont fait un nom sur le marché de l’art, comme Séoul, qui a récupéré la foire Frieze en septembre, ou Singapour qui a lancé une nouvelle foire en janvier. «Hong Kong garde l’avantage d’un marché bien structuré, avec la présence des grands acteurs internationaux (…) qui se traduit par une avance considérable en termes de produit de ventes», affirme cependant Thierry Ehrmann, directeur d’Artprice. L’un des avantages de la métropole chinoise est l’absence de droits de douane, de taxes sur la valeur ajoutée ou de droits de succession sur les œuvres d’art.
«Le potentiel de cette région est immense», s’enthousiasme Alex Branczik, responsable de l’art moderne et contemporain Asie chez Sotheby’s. Pour les trois principales maisons de vente aux enchères du monde, Hong Kong constitue «le nouvel eldorado», note Artprice dans sa dernière étude : Christie’s y a réalisé 8 % de son chiffre d’affaires mondial sur les œuvres d’art, en 2022, Sotheby’s 12 % et Phillips 13 %. «Le prix moyen d’une œuvre y est toujours plus élevé que partout ailleurs sur terre : 280 000 dollars», fait valoir Thierry Ehrmann.
La Chine pèse 24 % du marché mondial de l’art, au 2e rang derrière les États-Unis, contre 35 % en 2021, après avoir vu ses ventes chuter de 34 % en 2022 en raison de la pandémie, selon Artprice. Mais les maisons de vente parient que le ralentissement ne durera pas, et prévoient même d’ambitieux élargissements de leurs activités hongkongaises dès 2024.
Sotheby’s, dont le siège est à New York, compte désormais autant d’enchérisseurs en Asie qu’en Amérique du Nord. «C’est un pilier essentiel de notre activité. Et pas seulement à Hong Kong», ajoute-t-il, soulignant que les enchérisseurs asiatiques sont également «essentiels» dans les salles des ventes de Londres, New York et Paris. En 2022, deux tiers de ses nouveaux clients étaient asiatiques et «largement plus jeunes», relate le responsable. Sotheby’s a signé l’an passé un bail de location de 2 230 m² en plein Central, le quartier hongkongais des affaires, aux loyers parmi les plus chers du monde.
Mais hors de l’élite artistique de la ville, certains artistes vivent plus difficilement de leur travail. «Je pense que les maisons de vente aux enchères et les collectionneurs seront assez intelligents pour se tenir à distance des artistes controversés et des œuvres» pouvant être jugées séditieuses, déclare Kacey Wong, exilé à Taïwan, qui dit ne pas «oser» exposer à Hong Kong.