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Hikmeti Tabiyeci traite les maux de la Turquie


Les œuvres de l’artiste urbain turc Hikmeti Tabiyeci sont devenues emblématiques des formes subversives de protestation populaire qui émergent contre la répression et le chaos économique des deux décennies de règne du président Erdogan.

Âgé de 34 ans, l’artiste Hikmeti Tabiyeci, qui ne veut être désigné que par son pseudonyme – signifiant «physicien» en turc ottoman –, a inventé un genre unique à Ankara, sa ville.

Tout commence il y a quatre ans lorsqu’il quitte une carrière dans la publicité pour se vouer à la peinture. Il choisit les rues, qu’il connaît de ses années d’activiste politique, pour exposer ses œuvres multiformes, affiches, peintures ou installations, dont une «horloge politique» ironisant sur les théories du complot répandues chez les politiciens turcs.

À travers son art, il affirme vouloir traiter avec humour «certains problèmes devenus très courants» en Turquie. Un choix rare dans une période où, souligne-t-il, «même les rassemblements les plus démocratiques se trouvent souvent interdits».

Parmi les œuvres de Hikmeti Tabiyeci, une fausse pierre tombale pour la démocratie turque installée dans un parc de la capitale, ou une affiche préconisant ironiquement de manger de la brioche face à l’envolée des prix.

De nombreux musiciens, cinéastes ou auteurs ont été poursuivis ces dernières années pour avoir pris position contre les politiques du président turc, Recep Tayyip Erdogan.

Hikmeti Tabiyeci se défend de tout héroïsme, même s’il a bien conscience des limites à la liberté d’expression en Turquie. «La rue est un univers traumatique dans l’histoire politique de la Turquie. Mon oncle, que je n’ai jamais connu, a été tué juste pour avoir collé des affiches politiques à l’approche du coup d’État de 1980», confie-t-il.

Excepté une brève parenthèse de démocratisation au début des années 2000, l’histoire récente turque est pavée de répressions, coups d’État ou tentatives de putsch, la dernière en date, en juillet 2016, ayant mené à un durcissement du pouvoir. «Je fais bien sûr des œuvres politiques, mais aussi apolitiques. La plupart ne relèvent que de l’humour, comme quand je dessine une piste d’atterrissage pour les abeilles dans un parc. Mais même pour celles-ci, je reçois des centaines de messages me demandant si je ne crains pas d’être arrêté», explique l’artiste.

«Cela montre l’ampleur de la peur et de la répression. Même évoquer un droit fondamental comme la nécessité d’appliquer les lois, de respecter l’environnement ou de dire non aux féminicides est devenu politique.» Malgré ce climat, l’artiste, souvent comparé à Banksy, a longtemps jugé cette peur exagérée.

Le séisme du 6 février 2023, qui a dévasté le sud-est du pays, faisant plus de 53 000 morts, a cependant changé son regard. Après la catastrophe, le gouvernement turc s’est retrouvé sous le feu des critiques face à la lenteur des secours et aux images de survivants livrés à eux-mêmes, incapables de sauver leur proches sous les décombres. Hikmeti Tabiyeci dessine alors trois silhouettes d’enfants au milieu d’une ville dévastée plongée dans le noir, regardant au loin les lumières du fastueux palais du président Erdogan.

Le dessin, qu’il partage sur Instagram, où il compte près de 300 000 abonnés, déclenche une avalanche de réactions. «Ce dessin a fait le tour du monde. Des journaux l’ont publié en Europe et aux États-Unis. J’ai reçu de nombreux messages de remerciement, mais j’ai aussi subi un lynchage en ligne. J’ai été inquiet d’éventuelles répercussions», raconte-t-il.

Il ne connaîtra finalement pas d’ennuis judiciaires, mais renoncera au projet de peindre une fresque similaire dans la province d’Hatay, la plus affectée par le séisme, par peur de nuire à ses partenaires locaux

Il y réalise quand même d’autres peintures sur des ruines, comme celle d’un œil versant une larme accompagné du message «Plus de place pour l’erreur» en forme de jeu de mots, «pour l’erreur» se disant «hataya» en turc.

Son dessin sur les lumières du palais présidentiel a touché de nombreux habitants de la province, qui lui ont exprimé leur soutien, affirme l’artiste. Il prévoit d’y retourner au mois d’avril, cette fois accompagné d’artistes de différents pays. «On fera une peinture sur un mur encore debout. Elle ne sera pas politique. En tout cas pas directement», sourit-il.