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Henri Cartier-Bresson : un siècle dans l’objectif


Washington, États-Unis, 1957.

Il a fréquenté les surréalistes et fuyait les objectifs des autres. Il a été l’un des plus grands photographes du XXe siècle et demeure le maître de l’instant décisif. Henri Cartier-Bresson est le sujet unique d’une belle exposition en Bretagne, jusqu’au début de 2025.

À l’automne 1926, alors âgé de 18 ans et après avoir suivi des cours particuliers auprès des peintres Jean Cottenet (1882-1942) et Jacques-Émile Blanche (1861-1942), il intègre l’Académie d’André Lhote (1885-1962). «C’est là qu’il a développé un vrai goût pour la géométrie. À peu près à la même époque, il rencontre les surréalistes et il en retient l’idée du hasard et de l’inconscient.» «Son talent ensuite, c’est d’avoir associé tout ça et de réussir à faire une chose un peu étrange : composer des images sur le vif», commente Anne de Mondenard, commissaire d’exposition.

À l’automne 1931, il achète son premier Leica chez Tiranty (91, rue Lafayette à Paris), et l’année suivante, avec son ami d’enfance André Pieyre de Mandiargues, il voyage en Europe : Belgique, Allemagne, Pologne, Hongrie, Italie et Espagne où il met en boîte sa première commande photographique. Ses clichés sur les élections espagnoles sont publiés dans les revues Vu, Voilà et Photographie. Fin septembre 1933, il signe sa première exposition, à la galerie Julien Levy de New York. Deux mois plus tard, c’est au tour du Club Ateneo de Madrid de présenter ses images.

Reportages au bout du monde

À 25 ans, Henri Cartier-Bresson acquiert le statut de géant de la photographie – ce que rappelle et montre l’exposition «Henri Cartier-Bresson» proposée par le Fonds Hélène & Édouard Leclerc (FHEL) à Landerneau, en Bretagne finistérienne, jusqu’à début janvier 2025, et montée par le commissaire Clément Chéroux. Selon le président du FHEL, Michel-Édouard Leclerc, «il est probablement le photographe français le plus connu dans le monde. Ses œuvres circulent, mais souvent hors contexte, détachées de leurs intentions. Pourtant, l’artiste mérite un vrai parcours didactique : de l’homme qui saisit, choisit, formalise, consigne l’histoire qu’il traverse, au résultat graphique de ce processus de création».

Photographier, c’est un dur plaisir

Il poursuit, définit : «Qui mieux que Cartier-Bresson pouvait témoigner de cette relation essentielle de l’artiste à son monde, à son temps, aux sociétés et à la diversité des personnes qui les composent?». À Landerneau, en une plongée en 300 photos, l’exposition célèbre un homme né le 22 août 1908 dans une famille de grands industriels du textile à Chanteloup-en-Brie (Seine-et-Marne), mort le 3 août 2004 à Montjustin – village d’à peine soixante habitants dans les Alpes-de-Haute-Provence. Un homme qui signait ses premières photos «Henri Cartier». Le même qui deviendra le maître de l’instant décisif.

En vingt-trois étapes pour une confrontation, brillante tant par sa simplicité que son efficacité, au fil des ans face à l’œuvre, c’est la proposition d’un voyage d’un haut gentleman. En noir et blanc, c’est le reportage au bout du monde en toute majesté. Escales offertes en Birmanie, au Mexique, en Chine révolutionnaire, en Inde de la partition, à Cuba, au Japon… À l’évidence, le portrait en creux d’un homme réputé insaisissable, farouche, «fuyant les objectifs des autres, quitte à se mettre en colère s’il était cerné. Souvent, cette distance a été interprétée comme un phénomène de classe, voire une nature impérieuse», selon une critique d’art.

Homme et artiste multiple

Le portrait également d’un homme qui, selon cette même critique, «incarna l’Olympe de la photographie par son autorité naturelle, puis par son prestige». De son côté, Michel-Édouard Leclerc complète : «Au milieu du monde, avec discrétion, il n’aime pas se faire voir, il tourne sur lui-même, fixe, teste, jusqu’à saisir ce que ses yeux ont voulu capter et déjà quasi cadrer. Il peut être militant, faire ressortir une tension, une émotion devant une scène dramatique, mais avec distance, il travaille sa photographie comme un documentaire, pour nous, pour l’éternité».

Rythmée par des colonnes de couleur différente comme autant d’étapes avec un portrait (par exemple, une photo d’identité sur un passeport ou sur une carte de presse), l’exposition scénographiée par Laurence Fontaine déroule du rouge pour «Le sel du surréalisme», du vert pour «Le fou du Mexique» ou encore du jaune pour «La Chine communiste» avec des photos publiées dans le magazine américain Life. Homme et artiste multiple, maître aussi incontestable qu’incontesté dans son art, Henri Cartier-Bresson se plaisait à dire : «Nous, photographes, traitons avec des choses qui disparaissent continuellement, et quand elles ont disparu, il n’y a aucun artifice au monde qui puisse les faire revenir». Ou encore : «Photographier, c’est un dur plaisir».

«Henri Cartier-Bresson».  Jusqu’au 5 janvier 2025. Fonds Hélène & Édouard Leclerc – Landerneau (Finistère).

«Comme un Nijinski de l’image…»

En ouverture de l’impeccable catalogue consacré à l’exposition «Henri Cartier-Bresson» à Landerneau, l’écrivaine et dramaturge Marie NDiaye (prix Goncourt 2009) signe un texte passionnant sur le processus créatif du photographe. Extraits.

«Ce qu’un écrivain peut envier au photographe : cette immédiateté dans la naissance de l’œuvre, ce côté « claquement de doigts », sec, intense, sans remords possible – quand l’écrivain, parfois, ne cesse de se reprendre, rature, corrige, améliore ou croit le faire, jusqu’au vertige, jusqu’à l’égarement puisque toute phrase peut en être une autre légèrement différente (il suffit d’un mot, d’une virgule).

Oui, ce puits sans fond que peut être l’écriture, et l’immobilité du labeur à la table de travail, ce côté pétrifié de l’écrivain devant sa page à remplir – alors que Cartier-Bresson, comme le décrivent tous ceux qui l’ont vu en action, dansait, pirouettait, s’envolait comme un Nijinski de l’image…

(…) Oh oui, comme nous envions parfois le photographe, sa légèreté, son absence de vouloir (ou ce que nous supposons tel), son art de la flânerie, et cette vacance de l’esprit qui « attend de voir » ce qu’il se passe dans la rue!

Il doit bien y avoir chez lui, cependant, une tension de toutes les facultés, celle du chasseur aux aguets.

Ce mélange de la déambulation et de l’affût, de songerie et de qui-vive mental me semble être propre à l’écrivain pareillement.

(…) Oui, comme j’envie le photographe, libre d’affirmer qu’il ne doit rien vouloir!

Cartier-Bresson possède cette faculté étonnante, admirable, de s’exprimer, quand on le sollicite pour des entretiens, dans un mélange de simplicité et de profondeur qui, si naturel, semble être parfois une forme d’ingénuité – une franchise innocente, une façon d’être sans appréhension (ou s’en moquant) de tout jugement.

(…) Cartier-Bresson est toujours loyal, honnête, respectueux face aux visages dont il capture la fugitive expression. Ils n’ont rien demandé mais il leur rend infiniment – alors qu’ils ne réclament rien, ne sachant pas même qu’ils ont été pris en photographie, attrapés dans une image qui les rendra célèbres sans qu’ils puissent avoir accès à cette connaissance.

Ce n’est même pas qu’il les magnifie – la beauté qu’il nous montre n’est pas exaltée –, jamais de lyrisme dans les photographies de Cartier-Bresson.

Les gens qu’il photographie ne sont pas plus que ce qu’ils sont – ni plus beaux ni emblématiques de quoi que ce soit, ils sont eux, simplement eux, et tout aussi simplement célébrés».

Henri Cartier-Bresson. Catalogue. Éditions FHEL.

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