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Hate Radio : la haine au théâtre


Hate Radio reconstruit un studio de la Radio-Télévision libre des Mille Collines, qui a lancé des appels répétés au meurtre lors du génocide rwandais. Photo : iipm

Hate Radio, une pièce de Milo Rau sur le génocide rwandais, sera jouée à Neimënster les 3 et 4 septembre. L’auteur la présente.

Hate Radio nous transporte au printemps 1994, quand, à la suite du crash de l’avion du président rwandais, entre 800 000 et un million de personnes, principalement de la minorité tutsi, ont été massacrés par la majorité hutu. Avant ces « cent jours », la Radio-Télévision libre des Mille Collines a lavé le cerveau de ses auditeurs, déshumanisé les Tutsi et les Hutu modérés et radicalisé les autres en mêlant musique pop, reportages sportifs, émissions de divertissement, pamphlets politiques et appels explicites au meurtre.

Vous reconstruisez un studio de la Radio-Télévision libre des Mille Collines, ainsi qu’une de ses émissions dans Hate Radio. Ce ne doit pas être évident à jouer.

Milo Rau : C’est une pièce très difficile, même pour les comédiens. On s’était dit qu’on allait la jouer peut-être dans cinq ou six villes, finalement on la joue depuis cinq ans et là ce sera quelque chose comme la 200e fois. On a joué à peu près partout : Turquie, Japon, Amérique Latine, Canada, Afrique, Europe… et on a toujours été étonnés que le public comprenne le sens universel de la question. C’est, bien sûr, une pièce documentaire sur le Rwanda, mais aussi une pièce sur le racisme, sur la désintégration d’une société et sur la manière dont tout cela se prépare.

Il y a différents génocides dans l’histoire. Pourquoi  avoir choisi celui des Tutsis par les Hutus?

Pour moi, le génocide des juifs, comme celui des Arméniens, ce sont des faits anciens, en noir et blanc, qu’on apprend dans les livres scolaires. Ils sont plus en lien avec mes grands-parents. Alors que je me souviens personnellement du génocide rwandais. J’avais 17 ans, donc le même âge que beaucoup de ceux qui ont tué ou ont été tués. Et puis, j’ai écouté la même musique : Nirvana, MC Hammer, que diffusait la RTLM. J’aurais donc pu être un des auditeurs de cette radio.

Hate Radio ne montre pas le génocide en lui-même, mais le processus qui a mené à lui, à travers cette radio qui diffuse jour après jour des messages de haine. On est plus dans une violence psychologique. Avec des criminels de la parole. C’est bien ça?

Exactement. On a essayé de ne pas utiliser toutes les images qu’on lie habituellement au génocide rwandais. Il n’y a rien, sur scène, qui te dirige sur ce qui va suivre. C’est ça l’intérêt. L’idée ici n’est pas qu’il y a les fascistes en uniforme qui marchent au pas, au son du tambour. L’idée de la pièce est qu’un génocide est aussi une atmosphère, et ici, ça se passe dans une atmosphère joyeuse, presque carnavalesque. Cette radio RTLM a donc lié toute une génération, jeune et urbaine, à cette idée au départ antifasciste, anticolonialiste, antimondialiste et très de gauche qui finit par donner le génocide. Ça fait presque peur de voir comment les idées fixes de la gauche et les idées fixes de la droite peuvent se lier. La face noire de la démocratie peut venir des deux côtés.

Le spectateur se retrouve pendant la pièce dans une situation presque de voyeur (ou d’auditeur) impuissant. Est-ce que votre rêve secret ne serait pas qu’il se rebelle pendant ces appels à la haine, qu’il perturbe la représentation, qu’il vandalise le théâtre?

Je pense que c’est difficile d’imaginer ça. Le spectateur est réduit à un rôle quasiment d’autiste. Il est simple auditeur. La pièce est transmise à travers un système de radio, les acteurs sur scène sont enfermés dans un box vitré. Ils produisent une émission radio en direct, qui est écoutée sur de petits récepteurs radio par les spectateurs. Il n’y a donc pas une vraie possibilité d’opposition, de rébellion. Et c’était là aussi la situation réelle pendant le génocide. En d’autres mots, cette idée d’extrémisme et de pensée totalitaire se retrouve aussi dans la mise en scène.

La pièce est intégrée au festival Hate. Que pensez-vous de ce concept de festival sur la haine, ou plutôt contre la haine?

Je trouve ça très intéressant. On ne connaît pas assez la rhétorique de la haine. On croit que c’est quelque chose de très direct, mais c’est parfois, au contraire, très indirect, ironique. On a donc besoin d’un contexte pour la comprendre. D’autant que c’est un sujet très sensible. Et pour comprendre tout ça, rien de tel qu’une expérience artistique!

Pablo Chimienti

Neimënster – Luxembourg.
Samedi 3 septembre à 20 h.
Dimanche 4 septembre à 17 h.
En langues française et kinyarwanda avec surtitres en allemand et français. Une discussion est prévue après chaque représentation.