Depuis presque quinze ans, Guillaume Steichen achète des œuvres d’art, avec lesquelles il vit au quotidien. Rencontre à domicile avec ce collectionneur «raisonnable», alors que s’ouvre la Luxembourg Art Week.
Dans son appartement, situé dans le quartier de Merl, les toiles et autres sculptures, qu’il achète au rythme «d’une ou deux par an», s’accumulent du sol au plafond, prenant toute la lumière et tout l’espace. Ici, une œuvre murale d’Olafur Eliasson. Là, des papillons sous verre ou un oiseau en poussière… Guillaume Steichen, le secrétaire général de l’Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD), court les foires européennes et fouille les galeries à la recherche d’un nouveau coup de cœur qui figurera, à coup sûr, en bonne place chez lui.
Collectionneur, il reconnaît ne pas avoir de «gros regrets» jusque-là dans ses choix. Mieux, il est tout heureux de cette invitation VIP, qui domine une pile de courriers, envoyée par la Luxembourg Art Week. Alors que la foire se déroule jusqu’à dimanche, il se confie sur cette passion dévorante qui lui prend pas mal de son temps libre.
Comment en êtes-vous venu à constituer une collection d’art?
Guillaume Steichen : C’est comme pour Obélix et la potion magique : je suis tombé dedans étant petit (il rit). Ma mère a fait ses études aux arts décoratifs de Strasbourg et, depuis tout petit, en famille, on se rend régulièrement dans les musées. En outre, mes parents, curieux de tout, collectionnaient de l’art asiatique. Ça a sûrement aiguisé mon attention et ma volonté de continuer dans cette voie. Bref, ils m’ont transmis le virus!
Il y a beaucoup à apprendre des artistes et de leur vision du monde
Vous sentez-vous pour autant collectionneur?
De fil en aiguille, oui. Ça fait quatorze ans que je suis de manière assidue les foires internationales, que j’ai un attrait profond pour les nouvelles expositions, notamment au Luxembourg. On commence toujours tout petit et, finalement, je me rends compte que chaque année, ma collection grandit. C’est un monde qui m’intéresse toujours plus : tout est permis avec l’art, et cette liberté, cette subversion me plaisent, surtout dans des sociétés où le politiquement correct prime. C’est certain, il y a beaucoup à apprendre des artistes et de leur vision du monde.
L’art, pour vous, est-ce quelque chose qui se vit au quotidien?
Tout à fait! J’aime vivre entouré d’œuvres. J’ai le sentiment qu’elles se parlent, communiquent entre elles… Leur disposition a du sens : c’est comme une mise en scène! Lors d’un nouvel achat, il arrive qu’elles tournent, qu’elles bougent… Par extension, je ne conçois pas l’art comme un investissement, qu’on enferme dans un coffre-fort. Ce n’est pas du tout mon approche. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de place sur les murs! (il rit).
Comment constituez-vous votre collection?
Je marche aux coups de cœur, même si ce n’est jamais sur un coup de tête! Il y a en effet une démarche derrière : ça peut être un artiste que j’observe depuis un moment, mais aussi quelque chose qui, esthétiquement, me plaît, sans forcément qu’il ait un message fort en creux. Je me renseigne aussi sur internet, dans des magazines spécialisés ou physiquement, dans des galeries.
Y a-t-il un artiste qui revient plusieurs fois dans vos choix?
J’ai deux œuvres de Jean–Michel Othoniel (NDMR : qui expose actuellement au Petit Palais à Paris). Ça doit être le seul. J’ai toujours adoré son travail, et ce, depuis mes études à Paris, avec ce fameux Kiosque des noctambules. J’ai acheté la première il y a longtemps à Cologne, et la seconde, un chrysanthème stylisé (Kiku), l’année dernière à Paris. Avec leurs surfaces miroitées, elles changent avec la luminosité, le temps, leur position… On y découvre toujours des détails. Elles ne sont jamais figées!
Y a-t-il un fil rouge qui lie votre collection?
Je dirais la transparence, le reflet, le côté miroir… J’aime aussi les œuvres mystérieuses, qui surprennent, comme cet oiseau de Lionel Sabatté : on croirait qu’il est englué dans la vase ou du pétrole, mais quand on s’en approche, on voit qu’il est en réalité constitué de cheveux et de poussière… Ou encore cette « trash stone« , réalisée par un artiste allemand qui a caché quelque chose en son cœur, derrière une couche d’aluminium. J’espère juste que ce n’est pas radioactif!
Quand l’art devient un investissement, oui, on voit des prix fous et des choses insensées…
Voyagez-vous beaucoup pour nourrir votre passion?
Je profite de chaque déplacement pour découvrir les galeries locales ou les musées de la ville, de Paris à Bruxelles en passant par Maastricht. Oui, ma collection rythme une bonne partie de mon temps libre! Dernièrement, grâce à un grand amateur d’art luxembourgeois, également collectionneur, Patrick Majerus, on a pu visiter les ateliers d’artistes à Berlin. C’était passionnant!
Justement, avez-vous l’habitude d’aller discuter avec les artistes?
Étonnamment, non. Est-ce par pudeur, mais j’entre plus facilement en contact avec les galeries. Même si un artiste est présent à l’occasion d’un vernissage, je ne vais pas forcément aller le voir. Disons que pour moi l’œuvre se suffit à elle-même.
Vous dites aller régulièrement dans les foires ou musées à l’étranger, mais quel réseau avez-vous constitué au pays?
L’ancrage local est important, surtout qu’au Luxembourg, on n’a pas à se plaindre : l’offre y est fabuleuse pour un si petit pays! J’ai toutefois mes préférences : les galeries Nosbaum & Reding, Ceysson & Bénétière, Zidoun–Bossuyt et Valerius. Mais c’est vrai, au Grand-Duché, on sent une effervescence et une dynamique, avec des artistes de qualité.
En avez-vous dans votre collection?
Oui. Il y en a dont j’apprécie le travail, comme Roland Quetsch, Sardelli ou Martine Feipel et Jean Bechameil. J’apprends aussi à découvrir l’univers de Su–Mei Tse. Sa fontaine noire au Mudam, je pourrais y passer des heures devant…
Et la Luxembourg Art Week dans tout ça? Est-ce le rendez-vous, pour tout collectionneur luxembourgeois, qu’il ne faut pas manquer?
C’est certain, ne serait-ce que pour toute l’énergie déployée par son équipe pour attirer des nouvelles galeries étrangères à la foire et sensibiliser le public local à ce qu’est l’art. C’est un rendez-vous absolument nécessaire, utile et qui donne une autre image du Luxembourg à l’international.
Vous en attendez quoi cette année?
J’ai déjà reçu quelques mails, des conseils et autres informations, mais je compte me laisser surprendre. Je sais juste que la galerie parisienne Lelong & Co. présente une œuvre de Jaume Plensa, un artiste espagnol que j’apprécie. De lui, j’ai un buste en écritures, d’ailleurs l’une de mes premières acquisitions.
C’est jeudi soir (NDLR : hier soir) que s’ouvre la Lux Art Week pour les professionnels. Pouvez-vous nous décrire l’ambiance?
C’est plutôt bon enfant. On se retrouve entre copains et d’autres collectionneurs, les mêmes que l’on retrouve dans des galeries ou dans d’autres foires. Ce qui va m’intéresser, c’est de faire vite la tournée des différentes propositions, et après, on verra si on se laisse tenter ou pas…
Y a-t-il une concurrence entre collectionneurs?
Franchement, non. On n’est pas du tout là-dedans, bien au contraire : je me réjouis toujours quand un ami ou quelqu’un que je connais arrive à ses fins, même si l’œuvre en question me plaisait aussi (il rit).
Avez-vous une limite de prix?
Oui, forcément. Il y a toujours un frein à partir du moment où l’on n’est pas rentier et que l’on a des prêts à rembourser! En fonction de ce qui reste, l’enveloppe est, disons, plus ou moins grande. Je ne vais pas dire un chiffre, mais ça peut aller de plusieurs centaines d’euros à plusieurs milliers. Mais je reste raisonnable par rapport à cela. Et si c’est hors de prix, il reste le plaisir des yeux, comme lorsque l’on est au musée devant des œuvres sublimes. C’est la part du rêve! Oui, on ne peut pas tout acheter, on ne peut pas tout se permettre, mais à son niveau, tout le monde peut entamer une collection et trouver son bonheur.
Selon vous, l’art est-il donc abordable?
Dans ce qu’on aime, on peut trouver sa gamme de prix. Il y a des œuvres majeures, d’autres secondaires, des tableaux XXL, des plus petits, des lithographies ou même des photocopies, comme le proposent aujourd’hui de nombreux artistes comme JR. D’accord, on ne dispose pas d’une œuvre originale signée, mais au final, ça reste de l’art! Oui, tout ne se résume pas au portefeuille. Après, bien sûr, on voit des choses insensées et des prix fous quand l’art devient un investissement. Là oui, on peut se demander si c’est bien raisonnable. Mais je crois sincèrement qu’il y a des offres pour tout le monde! C’est d’abord une question de curiosité et d’intérêt. Tout part de là.
Entretien avec Grégory Cimatti
Luxembourg Art Week. Jusqu’à dimanche au Glacis (Luxembourg).
luxembourgartweek.lu