Grand Corps Malade fait son retour avec un album de duos, Mesdames. Des légendes de la chanson à des artistes phares de la jeune génération, le slammeur s’est entouré de femmes engagées et leur rend hommage en souhaitant les présenter «sous tous leurs aspects».
Avec Mesdames, Grand Corps Malade signe un nouvel album en hommage à la gent féminine. Pour et avec les femmes, le slammeur s’est entouré d’artistes aussi différentes que Camille Lellouche, Louane, Véronique Sanson, Laura Smet ou encore Suzane. Il nous a entre autres confié l’histoire de ce disque et sa vision du féminisme.
Un mot pour commencer sur le plébiscite autour de cet album, déjà en tête des ventes. Quelle est votre réaction?
Grand Corps Malade : Quand on prépare un album depuis des mois, que l’on a hâte qu’il sorte et que les gens puissent l’entendre, cela fait évidemment plaisir d’avoir de si bons retours et de voir qu’il fonctionne apparemment très bien.
Comment est née l’idée de ce disque?
J’avais tout d’abord l’envie de faire des duos, car je n’en avais jamais fait intégralement sur un album. Très rapidement, j’ai eu l’idée de faire exclusivement des duos avec des femmes car je sentais que cela pouvait faire de beaux mélanges. J’avais envie de travailler avec beaucoup d’artistes différentes et évidemment, à notre époque, faire un album avec uniquement des femmes, l’appeler Mesdames, cela n’est pas anodin et c’est presque un acte engagé.
Des femmes et des artistes d’univers très variés en effet. Comment les avez-vous choisies ou rencontrées?
Je les ai justement choisies en raison de leur diversité. Je voulais proposer un album varié et présenter la femme sous tous ses aspects, tous ses profils, et provenant donc de générations différentes, d’univers mais aussi de métiers différents car il y a des chanteuses mais aussi des comédiennes, des musiciennes-instrumentistes, Julie et Camille Bertholet, et Manon, une jeune slammeuse qui va encore au collège.
Est-ce que ce disque vous permet de vous affirmer comme féministe?
Je ne sais pas, mais en tout cas, c’est une façon de mettre les femmes à l’honneur, de regretter que l’égalité hommes-femmes soit encore très loin d’être présente dans notre société. Si tout cela est être féministe, je veux bien l’être.
Il faut entendre mon grand respect des femmes et ma volonté de les mettre à l’honneur. Tant mieux si cela injecte aux plus jeunes quelques idées sympas dans la tête
En écoutant l’album, on vous sent partagé entre l’espoir et une forme de fatalisme. Quel est votre regard sur la condition des femmes en 2020?
Il y a un certain fatalisme en effet. Les femmes n’ont eu le droit de vote en France qu’en 1945, le droit d’avoir un compte en banque en 1965 et il y a des statistiques encore incroyables. Et il y a encore le sentiment que les choses n’avancent pas très vite, une réelle inégalité hommes-femmes… En même temps, les choses bougent grâce entre autres aux mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc. En tout cas, il y a depuis quelques années une prise de conscience générale et cela va plutôt dans le bon sens.
Le thème de l’éducation est souvent présent dans vos disques. Est-ce que celui-ci est aussi une forme de sensibilisation des jeunes générations à l’égalité hommes-femmes et plus globalement à la condition des femmes?
Dans chaque album, chacun va chercher les messages qu’il a envie d’aller chercher. Si les plus jeunes écoutent cet album, il faut en tout cas entendre mon grand respect des femmes et ma volonté de les mettre à l’honneur. Tant mieux si cela leur injecte quelques idées sympas dans la tête.
Musicalement aussi, Mesdames est un album riche. C’était une envie dès le début?
Oui, bien sûr, et j’aime que sur un disque nous n’écoutions pas dix ou douze fois la même chanson. J’aime que les thèmes soient variés, que la musique le soit aussi et j’ai pour cela travaillé avec Mosimann, un DJ et compositeur très talentueux, qui a composé toutes les musiques et nous avons justement voulu varier les ambiances.
Un mot justement sur Mosimann. Gagnant de la Star Academy en 2008, il mène depuis dix ans une carrière intéressante de DJ. Comment vous êtes-vous rencontrés?
Cela s’est fait par hasard. Il m’a fait écouter des musiques qu’il était en train de faire et cela m’a beaucoup plu. Je lui ai dit que je préparais un album et je lui ai demandé si cela l’intéressait de me proposer quelques musiques. Nous avons essayé sur un ou deux titres, et comme cela a bien fonctionné, il a composé tout l’album.
Quel regard portez-vous sur son parcours?
Je trouve qu’il a beaucoup de volonté. Il a eu une grosse notoriété d’un coup grâce à une émission de télé-réalité. Il a eu un beau début de carrière en tant que chanteur mais a trouvé que cela ne lui correspondait pas. Il est ainsi retourné à ses premiers amours, le DJing. En tant que DJ, il est devenu l’un des plus réputés. Il fait des concerts partout dans le monde, en Asie, au Moyen-Orient. C’est un beau parcours.
Avez-vous un titre préféré sur cet album?
Elle est dure cette question mais j’ai peut-être un petit coup de cœur pour le morceau avec Suzane, Pendant 24 h, car il dit des choses vraiment importantes, et en même temps, il est drôle, il y a beaucoup d’autodérision. La musique de Mosimann sur ce titre est vraiment très réussie, très entraînante. Je ne connaissais pas Suzane avant de faire ce duo et c’est une fille très active. C’est une belle rencontre et nous avons pris beaucoup de plaisir à faire le clip, qui retranscrit bien cette énergie d’ailleurs.
C’est assez incroyable quand le public s’approprie un titre comme Mais je t’aime
En parlant de clip, celui du premier extrait Mais je t’aime, avec Camille Lellouche, a dépassé les 30 millions de vues. Comment regardez-vous le plébiscite de cette chanson?
Ce sont des chiffres dont on n’a pas l’habitude et c’est assez incroyable quand le public s’approprie un titre comme celui-ci. Il y a cette alchimie entre les voix, la musique et le texte. Il n’y a pas vraiment de recette pour un succès, mais c’est cela aussi la magie d’une chanson.
Pendant le confinement, vous mettiez en ligne des chroniques quotidiennes, des anecdotes avec vos deux fils. Comment avez-vous vécu cette période?
Plutôt bien. Ma femme faisait beaucoup de télétravail, donc mon confinement a surtout été de m’occuper des enfants. Nous n’avions pas vraiment pu finir la tournée et l’album a lui été interrompu pendant cette période. J’étais donc à la fois le prof, l’animateur, le cuistot… Malgré les restrictions, il y a eu de bons souvenirs, avec de vrais moments en famille.
Comment vous est venue l’idée du titre Effets secondaires sur cette période?
Cela m’est venu de façon très spontanée. Je vivais cela comme la moitié de la planète et j’ai eu envie d’écrire sur cela en me demandant si on allait en sortir plus forts, plus intelligents.
Envisagez-vous une tournée pour cet album Mesdames?
Oui, et on commence à prévoir des dates en 2021. On ne sait pas encore dans quelles conditions nous ferons cette tournée, mais nous la ferons.
Toujours en parlant de femmes, vous écrivez aussi pour elles, notamment pour Céline Dion sur ses deux derniers albums en français. Avez-vous des projets de collaboration?
Pas pour le moment. J’écris un peu à la demande. Je ne suis pas quelqu’un qui va démarcher. Quand on me fait une proposition, je réponds.
La Mer et l’enfant et Les Yeux au ciel sont du sur-mesure pour elle. Quand vous écrivez pour un(e) artiste, pour un duo, avez-vous cela à l’esprit?
Oui, toujours. Je n’écris pas des chansons en attendant que quelqu’un vienne ensuite m’en demander ou en allant les distribuer au hasard. Je n’écris rien à l’avance, et c’est aussi le cas pour tous les duos de l’album Mesdames. J’attendais que la personne me dise oui et ensuite nous discutions du thème.
Entretien avec notre collaborateur Nikolas Lenoir
Mesdames, de Grand Corps Malade (Caroline).
Le chœur des femmes
Casting royal, de Véronique Sanson à Laura Smet : Grand Corps Malade s’offre un album de duos avec des voix féminines, «pour ne pas seulement parler des femmes, mais aussi les entendre». La réussite de Mesdames est que l’hôte laisse toujours de la place à l’autre.
Comme avec Pendant 24 h, élaboré avec Suzane, où un homme et une femme échangent leur vie. Le tempo electro-punchy et les thèmes abordés – «Je sortirai en jupe quelques instants dans les transports / Pour comprendre l’essence même du hashtag #BalanceTonPorc» – font qu’on se croirait dans l’univers de la chanteuse, qui dénonçait le harcèlement de rue dans son morceau SLT. «Oui, il a été super-bienveillant et c’est vrai qu’on nous retrouve tous les deux, dans nos styles, sur ce titre», se réjouit Suzane. L’alchimie se prolonge dans un clip, pas encore dévoilé, que les deux musiciens viennent de mettre en boîte. «Sans trop spoiler, c’est un petit court métrage, où je suis dans la peau de Grand Corps Malade et inversement», souffle-t-elle.
À une exception près, Grand Corps Malade n’est jamais arrivé avec un texte clé en main. «Pour la plupart des femmes présentes sur l’album, on s’est vus, et une fois ma proposition de duo acceptée, on se demandait : « Alors, de quoi on va parler? »», raconte l’artiste.
Le slammeur a toujours été attentif à la condition féminine dans ses chansons – «Je suis choqué par l’inégalité salariale et j’hallucine de voir que le droit de vote a été accordé si tard aux femmes» – et le fond a rejoint la forme quand il a pensé à un album intégral de duos. L’opus brasse les générations – du monument Sanson à Manon, adolescente repérée dans un concours de slam – et les humeurs, entre textures sombres et motifs plus colorés. Et le générique rassemble chanteuses (on croise aussi Louane, la rappeuse Alicia), musiciennes (Julie et Camille Berthollet) et actrices.
Camille Lelouche, «une voix incroyable»
L’occasion pour Camille Lellouche de montrer qu’elle n’est pas seulement comédienne (elle était passée au début de sa carrière par The Voice). Le morceau Mais je t’aime, «Camille me l’a montré sur ce piano-là», confie Grand Corps Malade, en désignant l’instrument. «Là, c’est particulier, c’est une chanson à elle, elle a joué la mélodie, avait déjà écrit sa partie. Et là, j’ai dit : « Waouh, je veux faire ce morceau avec toi. »»
Pas vraiment une surprise pour lui. «Je la connais bien, c’est une pote, elle a ça en elle, elle a une voix incroyable, elle te capte, elle a cette petite fêlure, développe-t-il. On a sorti le morceau en single et ça passe pas mal en radio, ce qui est nouveau pour moi (il rit).»
Pour le titre Un verre à la main, Laura Smet ne chante pas mais sa narration permet à cette histoire de rencontre contrariée de défiler en cinémascope. «Je voulais une actrice, pour les côtés glamour et cinématographique de ce texte. Laura Smet, ça l’a beaucoup amusée cette idée, elle était hyper-enthousiaste, j’ai découvert une femme géniale, humble et presque impressionnée, elle m’a dit : « Moi, tu sais, derrière un micro en studio, j’ai un peu le complexe du père. »»
«Elle a tellement aimé ce texte qu’elle m’a proposé de réaliser le clip – je ne trahirai pas de secret en disant qu’elle a d’autres préoccupations en ce moment (NDLR : l’actrice est enceinte), mais ça se fera plus tard, pour prolonger l’aventure du disque.»