Après « Campagne présidentielle » et « Le Château », Mathieu Sapin est de retour en librairie avec « Gérard. Cinq années dans les pattes de Depardieu » où l’auteur se remet une nouvelle fois en scène dans une sorte de journal de bord offrant un portrait très personnel de Gérard Depardieu.
Le Quotidien : Vous avez côtoyé et suivi Gérard Depardieu pendant cinq ans. Il fallait ça pour en faire le tour?
Mathieu Sapin : Oui. D’autant qu’au départ, ce n’était pas dit que je ferais une BD sur lui. Je l’ai rencontré et commencé à le suivre dans le contexte d’un documentaire dans le Caucase (NDLR : Retour au Caucase. Gérard Depardieu dans les pas d’Alexandre Dumas , de Stéphane Bergouhnioux et Jean-Pierre Devillers). Après j’ai mis une bonne année à lui expliquer que je voulais faire une BD sur lui.
Pourquoi vous teniez autant à ce sujet?
Parce que quand je l’ai rencontré, je n’imaginais pas qu’il pouvait être aussi intéressant. Après avoir passé dix jours avec lui dans le Caucase, je ne pouvais pas en rester là. J’étais fasciné. Il a rencontré plein de gens importants des XX e et XXI e siècles et quand il parle, c’est un spectacle à lui tout seul. Avec quelqu’un comme Depardieu, on touche à presque tous les domaines.
C’est bien plus qu’un simple acteur, j’aime dire qu’il est presque dans le domaine public. Il touche à la politique, aux affaires, à la gastronomie, à l’agriculture, et évidemment à la culture, au cinéma, à la littérature, à l’art plastique… On peut explorer beaucoup de domaines à travers lui. Pour faire le tour et en avoir une vue la plus complète possible, il fallait vraiment le temps.
C’est long pourtant cinq ans pour un projet BD. Votre éditeur ne s’impatientait pas trop?
Comme j’ai, en parallèle, sorti Le Château , ma BD sur l’Élysée, ça l’a fait patienter. J’ai aussi la chance d’avoir un éditeur qui comprend que parfois un projet nécessite du temps et donc de faire confiance.
La politique vous a rattrapé entre les voyages en Russie, en Azerbaïdjan, les amitiés de Gérard avec Poutine, et puis la guéguerre entre lui et le gouvernement français… Vous vous êtes retrouvé dans le rôle d’ambassadeur?
Disons que par moments il a fallu faire preuve de diplomatie, oui. Comme j’essaie de le décrire dans l’album, il y a aujourd’hui en France quelque chose de cassé : crise des institutions, de l’identité, etc. Je trouvais que cette mésentente entre Depardieu et le gouvernement français était la parfaite illustration de ça. Une sorte de divorce français.
Vous écrivez : « Tout le monde l’aime, sauf les Français »…
Ce n’est pas qu’ils ne l’aiment pas, mais ils ont du mal à accepter qu’il ne soit pas comme ils aimeraient qu’il soit. On a l’impression que Depardieu ne peut pas faire ce qu’il veut parce qu’il représente la France.
Enfin, tout allait bien jusqu’à ce qu’il décide de quitter la France pour des raisons fiscales, non?
Oui, mais il y a beaucoup d’artistes ou de sportifs qui ont fiscalement quitté la France sans que personne leur en veuille. Ça s’est su, la presse en a parlé, mais ça ne crée pas le même émoi. Depardieu, ce n’est pas possible, parce que Depardieu c’est la France! Mais ces dernières semaines, j’ai l’impression que sa relation avec les Français est en train de changer. Il a fait une série de concerts à Paris, sur Barbara, qui a eu un accueil très chaleureux.
Et comme vous le dites en page 89 au président : votre « but n’est pas d’excuser ou dédouaner Depardieu, mais de faire un portrait le plus juste possible ». C’est donc à la fois très subjectif, parce que c’est votre point de vue sur le personnage, et le plus objectif possible.
C’est ça le défi que j’essaie de relever. Il est bien plus intéressant que la caricature qu’on peut faire de lui. Je voulais montrer ça. Mais en même temps, lui-même se prête volontairement à la caricature. Des fois il en fait des tonnes, exprès, il force le trait sur son côté négatif. Je voulais décrire la complexité du personnage. Cette ambivalence. Il dit qu’il ne s’aime pas, et parfois on a l’impression qu’il essaie d’abîmer son image.
Il vous dit lui-même, quand il accepte l’idée de la BD : « Il faut le faire vraiment, faut parler du Depardieu qui se casse la gueule en scooter, qui pisse dans un avion »… Bref, des frasques que les personnes connues préfèrent d’habitude ne pas trop ébruiter. C’est ce côté entier, honnête, sans filtre qui le rend intéressant?
Oui, je pense que j’aurais du mal à rencontrer quelqu’un d’autre d’aussi connu et aussi transparent. Du coup, c’est moi qui me suis trouvé dans la position de celui qui doit décider jusqu’où aller. On m’a reproché de ne pas toucher l’aspect sentimental et sexuel actuel. Mais ce n’est pas lui qui ne voulait pas, c’est moi qui ai mis la barrière à ce niveau-là. Je n’aime pas aller sur ce terrain.
Page 26, Gérard dit de lui-même qu’il est « fatigant » de vivre à côté de lui. Vous confirmez?
C’est épuisant. Il est tout le temps dans une espèce de mouvement. Il ne supporte pas quand ça s’arrête. Il veut toujours être « après », « plus tard », « ailleurs ».
Et vous avez pris combien de kilos à ses côtés?
Rien que pendant les dix jours passés avec lui dans le Caucase, j’ai pris entre 5 et 6 kilos.
Est-ce qu’il y a une question que vous n’avez pas osé lui poser? Ou une chose que vous n’avez finalement pas osé lui dire?
Non. Mais c’est vrai que sur sa relation avec Poutine, par exemple, je n’ai pas essayé de le pousser dans des contradictions comme l’aurait fait un journaliste.
À la fin de l’album, vous écrivez en quittant Depardieu que vous avez l’impression que vous ne le reverrez plus avant longtemps. Qu’en est-il finalement?
Ce n’est pas tout à fait vrai. Je l’ai revu quelques mois plus tard, il y a quelques semaines, pour lui donner l’album – je crois qu’il lui a plu d’ailleurs. Mais c’est vrai que ce n’est pas quelqu’un avec qui on peut programmer des choses. Il peut ne pas donner de nouvelles pendant des mois et un jour appeler à l’improviste de l’autre bout du monde.
Pablo Chimienti
Gérard. Cinq années dans les pattes de Depardieu , de Mathieu Sapin. Dargaud.