Sept de ses œuvres sont inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est tenu pour l’un des plus grands architectes du XXe siècle. Il a été surnommé, de son vivant, «l’architecte de Dieu». Jusqu’à la mi-juillet, Paris et le musée d’Orsay consacrent une grande exposition à Antoni Gaudí. On y court!
Avant de filer en bord de Seine jusqu’au musée d’Orsay à Paris, on se rappelle les mots réunis dans un texte titré Paroles et écrits : «Je m’appelle Gaudí, avec l’accent sur la dernière voyelle; c’est une parole qui dérive du latin gaudere qui signifie jouir, pour moi il s’agit du plaisir que me procure l’amour que j’ai pour ma profession».
Antoni Gaudí est né le 25 juin 1852 et a grandi à Reus, en Catalogne; il est mort le 10 juin 1926 à Barcelone, après avoir été, trois jours plus tôt, percuté par un tramway – ce qui lui fera dire lors de son transfert à l’hôpital : «C’est aux tramways de s’arrêter, pas aux piétons!»
Quelque temps plus tard, l’homme d’Église Llorenç Riber i Campins (1881-1958) écrira : «Et maintenant, étendu dans sa tombe – couronné par son rêve qui, bien qu’il soit de pierre, est léger comme la fumée des songes –, il dort avec son rêve au-dessus de sa tête; comme un dais.»
L’encyclopédie mondiale précise qu’il fut architecte et principal représentant du modernisme, et que, sous le nom d’«Œuvres de Gaudí», pas moins de sept de ses travaux ont été inscrites par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité : le parc Güell, le palais du même nom, la Casa Vicens, la façade de la Nativité et la crypte de la Sagrada Familia, la Casa Battló et la crypte de la Colonia Güell.
Du jeune Catalan, le directeur de l’école d’architecture de Barcelone lancera, lui remettant en 1878 son diplôme : «C’est un génie… ou un fou!» Plus tard, l’architecte franco-suisse Le Corbusier (1887-1965) dira qu’il fut «le plus grand architecte de ce siècle». Cela vaut bien, pour le moins, une grande exposition présentée au musée national d’art de Catalogne à Barcelone l’hiver dernier, et en ces printemps-été au musée d’Orsay, à Paris. Gaudí dans un musée parisien, c’est une première depuis cinquante ans!
Une première «à la française» pour un artiste essentiel dont le travail a marqué «de façon durable l’architecture de Barcelone et constitue une contribution créative exceptionnelle au développement de l’architecture et des techniques de construction», selon les experts de l’Unesco.
Commissaires de l’exposition à Paris, Élise Dubreuil et Isabelle Morin Loutrel font les présentations : «Gaudí, c’est avant tout la Sagrada Família, et la Sagrada Família, c’est Barcelone qui s’incarne dans cette curieuse église. C’est aussi la ville du « modernisme » avec ses constructions singulières, rivalisant d’extravagance.»
Elles poursuivent : «Gaudí a été proche d’un groupe d’architectes novateurs prisés par la bourgeoisie catalane. Il est aussi indissociable de Barcelone, car il n’a pratiquement jamais quitté la ville entre le début de ses études à 17 ans et son décès en 1926. Ses constructions se situent presque exclusivement dans la ville et la cathédrale, qui occupa quarante-trois années de sa vie d’architecte, continue de s’y édifier, faisant de Gaudí le symbole de l’identité catalane.»
Antoni Gaudí avait été présenté pour la première fois en 1910 au Grand Palais à Paris, à l’occasion du salon annuel de la Société nationale des Beaux-Arts, par l’entremise d’Eusebi Güell, riche industriel et principal soutien de l’architecte. Cette fois, au musée d’Orsay, les commissaires de l’exposition ont souhaité mettre à bas le mythe qui a fait de Gaudí essentiellement, si ce n’est uniquement, le maître d’œuvre de la Sagrada Familia, le monument «fossilisé» du «folklore touristique» à Barcelone.
Mais, pour monter l’exposition parisienne, la tâche n’a pas été simple : en 1936, l’atelier que s’était construit l’architecte au pied de la Sagrada Familia a brûlé, emmenant dans les flammes la plupart de ses archives.
Il n’y a que Dieu qui me commande
C’est un génie… ou un fou!
Réalisateur du film documentaire Sagrada Família, le défi de Gaudí, Marc Jampolsky commente le travail de l’architecte : «Dès ses débuts, Gaudí utilise une foule de références qui ne lui viennent pas tellement de voyages, mais plutôt de livres, d’images qu’il brasse. Ce qui est assez fascinant chez lui, c’est la liberté totale qu’il se donne d’assembler des styles d’époques et de lieux radicalement différents.
Il développe ensuite son propre univers par l’ajout d’éléments en résonance avec la nature, une source très forte d’inspiration pour lui. Dans son architecture, le décor est intrinsèquement lié à la conception du monument, il fait partie de la structure elle-même.»
Ainsi, pour la Colonia Güell, une cité ouvrière près de Barcelone, Gaudí a imaginé une église dont les colonnes sont penchées selon un angle qui leur permet d’absorber toutes les poussées horizontales. Il reprendra l’idée pour la Sagrada Família et l’adaptera avec une disposition en arborescence.
Marc Jampolsky ajoute : «Lorsque l’on entre dans l’édifice, on a la sensation d’être dans une forêt de colonnes.» Dans Gaudí, le superbe catalogue de l’exposition du musée d’Orsay, Juan José Lahuerta, professeur d’histoire de l’art et de l’architecture à l’École technique supérieure d’architecture de Barcelone, précise : «Les problèmes de Gaudí avec la matière tentatrice ainsi que son débordement créatif progressif trouvent leur expression culminante dans le temple de la Sagrada Familia.»
On rendra grâce aux deux commissaires de ne pas avoir succombé à la facilité, de ne pas avoir monté une exposition qui n’aurait mis en valeur que la Sagrada Familia – un monument toujours en construction selon le vœu de l’architecte catalan et qui pourrait être achevé dans quatre années.
Parce que Gaudí, c’est aussi tant et tant d’autres constructions et créations : des réverbères, des intérieurs de café, des panneaux d’affichage, des façades de commerce, des étals de fleuristes, des jardinières, coiffeuses, méridiennes, plaques d’égout… Avec, comme on le voit à Orsay, la patte Gaudí! Comme une marque de fabrique avec des formes que lui seul a su dessiner et imaginer, avec des couleurs aussi éclatantes qu’étincelantes.
Pour ce créateur de génie, les influences furent multiples et permanentes : le «gothique» en retrouvant, en recréant et en prolongeant son inspiration tout en «le sauvant du flamboyant», les paysages de sa Tarragone natale, les écrits de l’architecte français Viollet-le-Duc (1814-1879) ou l’architecture arabe mudéjar (des musulmans d’Espagne) et mojarabe (des chrétiens espagnols de langue arabe).
Tout cela mixé par l’esprit follement inventif et créatif de Gaudí a donné le «modernisme espagnol» (qu’on assimile à l’Art nouveau) qui inspirera, quelques années plus tard, les surréalistes d’André Breton et Man Ray… et, après quelque temps au creux de la vague, Gaudí sera remis à l’honneur par un autre Catalan célèbre, Salvador Dalí.
Auteur de l’impeccable Antoni Gaudí, l’architecte de Dieu, Patrick Sbalchiero rappelle que l’ «approche religieuse est fondamentale dans le cas de Gaudí. Il est un fervent catholique, fidèle à la tradition de ses pairs, de son pays et de sa famille. Il met ses facultés naturelles, son temps et son énergie au service du Christ dont il est à ses yeux l’humble serviteur par ses réalisations.»
Ainsi, il aura collaboré, entre autres, au développement du monastère de Montserrat et à la restauration de la cathédrale de Barcelone, tout en étant l’architecte prisé et adulé des riches industriels catalans, parmi lesquels le dandy bourgeois Eusebi Güell i Bacigalupi pour qui il imagina une cité-jardin.
Et puis, et surtout, catholique fervent, il a toujours considéré les habitations comme des lieux de vie, cette vie qui est avant tout un pont entre l’humain et le divin. L’élévation, la verticalité, voilà ce qui explique l’aspiration et l’ambition avouées dès la fin de ses études par l’architecte catalan : «Bâtir une grande église». Ce qui lui fera dire à un commanditaire : «Il n’y a que Dieu qui me commande.»
Musée d’Orsay – Paris.
Jusqu’au 17 juillet.
À lire :
Gaudí. Catalogue de l’exposition,
sous la direction de Juan José Lahuerta.
Coédition musée d’Orsay / Hazan.
Antoni Gaudí, l’architecte de Dieu,
de Patrick Sbalchiero. Éditions Artège.
En effet, en catalan, la langue de la patrie de Antoni Gaudí, le verbe « gaudir » (on ne prononce pas le r final)cveut dire « jouir ».