Accueil | Culture | Gainsbourg raconté par sa maison

Gainsbourg raconté par sa maison


Lieu de pèlerinage depuis la mort, en 1991, de Serge Gainsbourg, la maison du 5 bis rue de Verneuil profite pour son ouverture au public d’une guide de choix : sa fille, Charlotte Gainsbourg.

La Maison Gainsbourg, qui comprend le domicile parisien mythique de «l’homme à la tête de chou» et un musée dédié sur le trottoir d’en face, ouvre au public demain, qui sera guidé par la voix de sa fille Charlotte.

Laissez-moi vous ouvrir la porte» : bienvenue au 5 bis rue de Verneuil, dans le septième arrondissement de Paris, l’antre de Serge Gainsbourg qui ouvre enfin au public demain, avec la voix de sa fille Charlotte comme guide audio. Les souvenirs d’enfance de la chanteuse et actrice – en français ou en anglais – portent ce parcours sonore d’une demi-heure et évitent l’effet d’entrée dans un mausolée.

Mis à part des panneaux de verre à mi-hauteur qui laissent le visiteur à l’entrée des pièces, l’endroit est resté comme il l’était à la disparition de l’artiste, en 1991. Tel que l’ont vu pendant des années les amis, les journalistes conviés pour des interviews, ainsi que les chauffeurs de taxi et les policiers avec qui «Gainsbarre» aimait «boire des coups», comme le murmure Charlotte Gainsbourg. Le plus surprenant, dans cette maison, est d’ailleurs la centaine d’insignes ainsi que quelques paires de menottes laissées par les agents de police venus trinquer à sa santé. «Je ne sais pas ce que c’est : un sitting-room, une salle de musique, un bordel, un musée…», décrivait l’artiste à la télévision française, en avril 1979.

L’endroit, photographié du vivant de l’artiste et de l’inoubliable couple qu’il formait avec Jane Birkin, est entré dans l’imaginaire collectif, y compris grâce à la chanson L’Hôtel particulier, sur l’album légendaire Histoire de Melody Nelson (1971). Son ouverture au public, elle, marque la fin d’un feuilleton de plus de 30 ans. «Dans les dix premières années, quand j’étais la plus sûre du projet, c’était très compliqué à faire aboutir, expliquait en 2021 Charlotte Gainsbourg. Et après, j’ai fait marche arrière parce que c’était un peu ce qui me restait de lui, donc je le gardais comme un trésor. Mais quand je suis partie à New York – maintenant, je suis de retour à Paris –, j’ai pris de la distance et j’ai compris qu’il fallait que ça se fasse.»

«Bordel arrangé»

Cette demeure, «c’est lui, sa personnalité, c’est assez surprenant», racontait encore la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin. «À l’époque de ma mère, il y avait peu de choses. Puis après, il y a eu de plus en plus de bordel très arrangé (elle rit). Il a transformé ça de son vivant en musée bourré d’objets, on avait du mal à marcher sans avoir peur de casser quelque chose.» Charlotte Gainsbourg se souvient notamment d’un buste de sa mère. «C’est un moulage de son corps, c’est très, très beau. Au début, c’était en plâtre, puis il l’a refait en bronze.»

Laissez-moi vous ouvrir la porte…

L’antre est fort sombre, comme le voulait Serge Gainsbourg, qui broyait du noir en emménageant juste après avoir été quitté par Brigitte Bardot… avec qui il avait effectué la première visite de la maison. Dans la pièce principale, qui lui servait de bureau et de salle de musique, le sol a été dallé en noir et blanc, les murs tendus de tissu noir et le tour des fenêtres et les portes laqués en blanc. Caverne d’Ali Baba, malle aux souvenirs, galerie de peinture, auditorium… Tout mais pas un capharnaüm. Le désordre a été étudié au millimètre par l’artiste, maniaque impénitent. Françoise Hardy et Jacques Dutronc, visiteurs réguliers du lieu, s’en souviennent encore : mieux valait ne rien déplacer si l’on voulait éviter l’incident diplomatique avec le maître des lieux.

Souvenirs intimes

On entre par le salon. Il y a les éléments attendus : le piano noir – de la même couleur que murs et plafonds –, les disques d’or, les photos des femmes de sa vie (Brigitte Bardot, Jane Birkin, Bambou) et de l’icône Marilyn Monroe. Le plus émouvant, c’est une banquette, légèrement déformée à gauche, là où le maître des lieux s’asseyait toujours. La voix de sa fille se fêle un peu à ce moment dans les écouteurs.

Gardienne du temple, Charlotte Gainsbourg a réussi à ce que le temps se fige dans la maison. Les gâteaux au chocolat Yes – marque emblématique des années 1980 – sont d’époque, intacts sous plastique. On les voit dans le frigo à porte transparente de la petite cuisine au rez-de-chaussée. Une bouteille de Château Haut-Brion 1928, l’année de naissance de «l’homme à la tête de chou», trône sur une étagère. On ne verra pas sa fourchette favorite, qu’il avait dérobée chez Maxim’s et que Charlotte confesse avoir «piquée» à son tour pour la remiser dans sa «table de nuit».

C’est justement par la chambre à coucher, à l’étage, que s’achève la visite de la demeure. Charlotte Gainsbourg y raconte des choses très intimes dans les heures qui ont suivi le décès de son père, mort sur place, comme le fait de s’allonger à côté du corps embaumé. Au sol de la chambre, une zone du tapis est élimée. Là où Gainsbourg posait le pied en premier quand il se levait, vers 13 h, après une nuit en boîte.

«Une expérience à part»

Dans cette artère du quartier chic de Saint-Germain-des-Prés, la demeure est repérable à distance à ses tags et autres graffitis, qui ornaient déjà la façade du vivant de l’artiste, au grand dam des riverains. À l’extérieur, c’est un lieu de pèlerinage depuis longtemps. Un peu comme la tombe de Jim Morrison, au cimetière du Père-Lachaise. On l’a vu lors de la mort de Jane Birkin, décédée le 16 juillet. Spontanément, les fans du couple phare des années 1970 ont afflué vers la maison pour déposer des fleurs ou écrire un mot sur ce véritable «mur des admirations», régulièrement repeint.

Au 14 rue de Verneuil, le musée Gainsbourg permet d’exposer des objets qui n’étaient pas visibles dans cette maison de poupée, exiguë en dépit de ses 130 mètres carrés, tant le collectionneur Gainsbourg y a entassé de bibelots. Dans une vitrine du musée, on sera touché par les bulletins scolaires du jeune Serge, avant son entrée au collège.

«Le musée retrace la vie de mon père à travers ses œuvres et sa collection de pièces emblématiques», résume Charlotte Gainsbourg. Outre le musée, le numéro 14 abrite également une librairie-boutique, ainsi qu’un café et piano-bar, le bien nommé Gainsbarre. À travers plus de 450 pièces «emblématiques», la chanteuse et actrice «espère proposer au public une expérience à part, qui donnera peut-être une nouvelle écoute à son œuvre. Une expérience si possible à la hauteur de ce qu’il nous a laissé.» Le lieu pense accueillir près de 100 000 visiteurs par an et offrira aussi, selon ses responsables, «une programmation culturelle in situ, digitale et hors les murs». Avant même son inauguration, l’expérience de la Maison Gainsbourg est victime de son succès : inutile de se ruer sur la billetterie en ligne, le lieu, ouvert du mardi au samedi, affiche déjà complet… jusqu’à la fin de l’année.