Il y a plus de 300 ans à Florence, un prude descendant de Michel-Ange décide de censurer une peinture de la talentueuse Artemisia Gentileschi, cachant sous de stratégiques couches de peinture ce nu qu’on ne saurait voir.
Une méticuleuse restauration de plusieurs mois a permis de redécouvrir aujourd’hui la vision originale choisie par Artemisia Gentileschi, l’une des premières peintres baroques, pour son nu intitulé Allégorie de l’Inclination, un tableau datant de 1616 et commandé pour honorer la mémoire de Michel-Ange (1475-1564).
La toile ornant un plafond de la demeure florentine de l’auteur de la chapelle Sixtine a été déposée en septembre et confiée à une équipe d’experts. Ils ont ainsi pu étudier les secrets de cette œuvre d’Artemisia Gentileschi, dont le talent, l’indépendance et la vie dramatique suscitent un regain d’intérêt dans le contexte de l’ère #MeToo.
L’épais drapé et les voiles ajoutés plus tard pour cacher le nu ne sont pas supprimés par la restauration, mais les images obtenues par l’étude permettent de redécouvrir la toile telle que voulue par l’artiste, née à Rome en 1593.
«Sous les voiles de la censure»
«Comme on dit en italien, on l’a retournée comme un gant avec tous les diagnostics techniques imaginables pour comprendre comment la peinture a été conçue, peinte, ce qui s’est passé ensuite, et voir ce qu’on peut lire sous les voiles de la censure qui ont été ajoutés à la peinture», explique Elizabeth Wicks, la conservatrice dirigeant l’équipe d’experts et techniciens.
Ce nu féminin incarnant la créativité artistique, assis sur un nuage, avait été commandé par le petit-neveu de Michel-Ange, un homme de lettres qui a transformé la résidence de son ancêtre en un musée somptueux célébrant son génie. Ce petit-neveu avait commandé 15 peintures pour décorer le plafond de la galerie de cette demeure.
Artemisia Gentileschi, célèbre de son vivant et destinataire de commandes royales, fut payée trois fois plus que ses confrères en reconnaissance de ses talents exceptionnels. Elle peignit cette œuvre peu après son arrivée à Florence, en provenance de Rome, où elle fut violée à 17 ans par un collègue de son père, tous deux peintres. Un procès avait abouti à la condamnation de son agresseur.
Mais 70 ans après la commande de l’œuvre, un autre descendant de Michel-Ange, pudibond et inquiet des conséquences potentielles de ces nus sur sa femme et ses enfants, demanda au célèbre artiste Baldassare Franceschini de les recouvrir.
Des siècles de fumée de bougie
Surnommé «il Volterrano», du nom de son village natal de Volterra, en Toscane, Franceschini recouvrit d’un voile diaphane les seins du personnage imaginé par Artemisia et dissimula son sexe et ses cuisses d’un épais drapé. Il est désormais trop risqué d’essayer d’ôter cette couche de peinture à l’huile, qui peut nécessiter jusqu’à deux siècles pour sécher complètement.
«J’aime à penser qu’elle (Artemisia Gentileschi) était déjà dans un autre monde quand cette peinture a été censurée, car je ne pense pas qu’elle aurait tellement apprécié», observe Elizabeth Wicks. «Nous n’apprécions pas tellement non plus, mais désormais cela fait partie de l’histoire de cette peinture.» Avec de délicats mouvements circulaires, elle frotte sur la surface de la peinture un morceau de coton imbibé de solvant, redonnant vie aux couleurs radiantes des chairs nues.
Des siècles de fumée de bougie, auxquels sont venus s’ajouter des vernis dans les années 1960, avaient donné une teinte orangée à la peau, tandis que le bleu vif du ciel aux tons lapis-lazuli avait tourné au gris-vert. «On peut voir que cette jambe est plus claire parce que je l’ai nettoyée en réduisant la couche de vernis», dit-elle en regardant la toile à travers ses lunettes grossissantes.
Rayons X et techniques d’imagerie
Des analyses aux rayons X et diverses techniques d’imagerie ont permis de redécouvrir la nudité désormais cachée – «Ce que vous pensez trouver sous le voile s’y trouve bien, tout est là!» – mais aussi les modifications effectuées par Artemisia Gentileschi elle-même sur les yeux et les mains.
À l’occasion d’une exposition prévue en septembre, les visiteurs pourront examiner l’œuvre de près, voir des images numériques révélant les différentes couches et découvrir les techniques modernes ayant permis de les détecter. La peinture retrouvera ensuite son emplacement originel au plafond.
Pour la coordinatrice du projet, Linda Falcone, il est important de «créer une réflexion sur l’art des femmes, le fait qu’elles étaient des protagonistes de leur époque». Artemisia Gentileschi se met elle-même en scène dans ce tableau dédié à Michel-Ange, sur lequel figure un personnage féminin : «Elle y dit : « Moi, en tant que femme, j’ai le désir de peindre. »» «Elle place l’héroïne au centre de la toile et cette héroïne a son visage», ajoute Linda Falcone.