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[Film] The Killer : dans la tête du tueur


The Killer est sûrement le plus radical d’entre tous, car braqué sur un unique personnage, porte-flingue mystérieux qui, comme Spinoza, livre à travers sa lunette de visée son implacable (et nihiliste) vision du monde. (Image Netflix)

David Fincher boucle son contrat avec Netflix sur The Killer qui, s’il a tout de l’histoire de vengeance et du film d’espionnage classique, s’en éloigne dans le ton et dans le procédé.

Trois ans après Mank et un contrat d’exclusivité qui touche bientôt à sa fin, on retrouve David Fincher sur Netflix avec un douzième film qui tient à une étonnante rencontre : celle avec la BD franco-belge. Soit d’un côté, la série graphique lancée par Casterman en 1998 (et toujours en cours), Le Tueur, de Matz et Jacamon. Et de l’autre, l’un des réalisateurs américains les plus célèbres qui, grâce à cette libre adaptation, peut une nouvelle fois poser sa caméra sur un univers qui lui est cher : celui des assassins et des tueurs en série. Sa filmographie en est le témoin, de Seven (1995) à Zodiac (2007) jusqu’à Millenium (2011) et la série Mindhunter (2017).

Le retour de Michael Fassbender à l’écran

The Killer est sûrement le plus radical d’entre tous, car braqué sur un unique personnage, porte-flingue mystérieux qui, comme Spinoza, livre à travers sa lunette de visée son implacable (et nihiliste) vision du monde. Bob sur la tête, en beige de la tête au pied comme un «touriste allemand» pour passer inaperçu, ce tueur à gages n’a pas de nom, juste une gueule : celle de Michael Fassbender qui, après s’être lancé dans une carrière de pilote automobile en 2017, signe là son retour à l’écran, et de quelle manière : l’acteur est quasiment de tous les plans, tout en ayant un maximum de dix-huit lignes de dialogue sur près de deux heures.

Taiseux, c’est en effet sa voix off qui berce le film (comme dans la BD). On y découvre alors un ascète du crime, solitaire et ultra-méticuleux. Il n’a aucun dieu, ni drapeau à défendre. Seul l’appât du gain le motive, et puisqu’il faut que quelqu’un fasse le «sale boulot», il est envoyé aux quatre coins du monde liquider ses cibles. Chez lui, le rituel est toujours le même : faire du yoga, se reposer, patienter, n’oublier aucun détail, ne pas se faire remarquer, brouiller les pistes. Et quand le moment arrive, surtout ne pas trembler.

Qu’est-ce que j’ai à y gagner?

Sa montre connectée (qui indique son pouls) et la musique des Smiths l’y aident, comme cette formule qu’il récite inlassablement telle une prière : «Respecte le plan. Anticipe. N’improvise pas. Ne fais confiance à personne. Ne cède jamais le moindre avantage. Ne mène que le combat pour lequel on te paie.» Avec, avant chaque décision qu’il prend, une question qui menace comme un couperet : «Qu’est-ce que j’ai à y gagner?» Un quotidien millimétré, entre planques nocturnes et aéroports, qui s’enraye au hasard d’un contrat raté en plein Paris. Le coup d’envoi d’une épopée sanglante à travers le monde, sur les traces des commanditaires…

Calme, lent, énigmatique et franchement paranoïaque

Il ne faudrait pas se tromper : The Killer (en compétition à Venise lors de la dernière Mostra), s’il a tout de l’histoire de vengeance et du film d’espionnage classique, s’en éloigne dans le ton et dans le procédé. En effet, à l’instar de son antihéros, il faut patienter pour voir la seule scène d’action musclée. Le reste est à son opposé : calme, lent, énigmatique et franchement paranoïaque. Interrogé à ce sujet, David Fincher, 61 ans, préfère voir son histoire comme une fuite en avant, avec les références qui vont avec : Tuez Charley Varrick! de Don Siegel (1973), La Loi du milieu (Mike Hodges, 1970) et encore Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967).

On pourrait rajouter Michael Mann et Alfred Hitchcock (pour un premier chapitre inspiré de Fenêtre sur cour), pour mieux rappeler que le réalisateur américain est lui aussi maniaque, et attentif aux moindres subtilités (dans le son, l’image et la technique). À travers la performance tout en intériorité de Michael Fassbender, et avec quelques touches d’humour (notamment le face-à-face avec Tilda Swinton et sa blague de l’ours), The Killer évoque certains sujets modernes, comme l’individualisme dans un monde ultra-connecté et les dérives du capitalisme (lointains échos de Fight Club et The Social Network). Il reste toutefois une parade, ce que semble suggérer le film : reprendre sa vie, sa destinée en main, et tant qu’à faire, loin de tout ce qui nous contrôle et nous oppresse.

The Killer de David Fincher avec Michael Fassbender, Tilda Swinton… Genre thriller.  Durée 1 h 59. Netflix