Le nouveau documentaire de Netflix, The Greatest Night in Pop, revient, étape par étape, sur l’histoire du plus gros succès commercial des «eighties» : We Are the World.
En 1984, le monde entier découvrait sur petit écran la misère et la famine qui étranglaient l’Éthiopie. Des enfants rachitiques mangés par les mouches. Des morts en pagaille (un million sur deux ans). Des images choquantes pour beaucoup, dont un certain Bob Geldof, rockeur irlandais militant (The Boomtown Rats) et acteur à ses heures (il est le héros du film Pink Floyd : The Wall). De sa colère et sa volonté d’agir naîtront alors deux nouveautés : la chanson dite caritative et le concept de supergroupe. Son idée ? Réunir les stars de la musique de l’époque et les faire enregistrer une chanson ensemble afin d’en reverser les bénéfices à des œuvres humanitaires.
Il y aura un premier coup d’essai avec Do They Know It’s Christmas?, en novembre de la même année, avec des stars purement britanniques (Bono, Sting, George Michael…). Il y aura aussi la version scénique avec le célèbre double concert Live Aid en juillet 1985, toujours pour la même cause. Entre les deux, un «moment historique» encore plus connu : le tube planétaire et plus gros succès commercial des «eighties» : We Are the World.
Lionel Richie sert de guide
C’est l’objet central du documentaire de Netflix, The Greatest Night in Pop, qui propose un tour dans les coulisses de ce monument musical à travers de riches archives et les anecdotes des stars qui sont encore en vie. Parmi elles, Lionel Richie, qui sert ici de guide comme il l’a été à l’époque. Au temps où il était moins «botoxé» et bien plus frisé, il avait en effet une double mission : être le moteur artistique de l’aventure et composer le morceau.
À ses côtés, deux soutiens de poids : Harry Belafonte, haute figure (respectée) de la chanson et du militantisme, et le manager Ken Kragen, au carnet d’adresses bien fourni. Deux aimants qui vont attirer la fine fleur de la pop américaine. Et la liste donne le tournis : Bob Dylan, Ray Charles, Paul Simon, Tina Turner, Diana Ross, Bruce Springsteen, Billy Joel… Sans oublier Michael Jackson et Stevie Wonder, tous deux également réquisitionnés pour l’écriture. Restait à choisir un chef d’orchestre pour éviter les caprices et chapeauter cette «dream team» : Quincy Jones, le plus grand producteur du moment.
Mettez votre ego de côté
Comme le rappelle le maître de cérémonie, «on avait le casting, mais pas le scénario». Celui-ci va s’avérer complexe à mettre en place, ce qui fait tout l’intérêt du documentaire qui va suivre, étape par étape, le développement de We Are the World. Dès le début, ça donne lieu à de scènes cocasses : la création du morceau chez Michael Jackson, avec Lionel Richie effrayé par la ménagerie qui s’y balade (singe, oiseau, serpent). Mais aussi l’arrivée, avec trois semaines de retard, de Stevie Wonder qui apparemment n’écoute jamais son répondeur…
Autre problème épineux : rassembler autant de vedettes au même moment et au même endroit, de surcroît avec les moyens de communication poussifs de l’époque. Pour simplifier la tâche, on pense alors aux American Music Awards, où beaucoup d’entre eux seront présents. L’enregistrement se fera donc à Los Angeles après la grand-messe télévisuelle et musicale. On loue le studio (A&M), on éloigne les médias de peur d’une «fuite» et on croise un maximum de doigts. Il ne faudra pas se louper : en une nuit, tout devra être en boîte. Car le lendemain, tous seront partis.
Course contre la montre
Il est 22 h 03, le 28 janvier 1985. Tous sont là (sauf Prince qui fera finalement faux bond). Comme pour conjurer le sort, Quincy Jones va mettre au-dessus de la porte d’entrée un message à destination de toutes ces célébrités : «Mettez votre ego de côté». Et histoire de les mobiliser (et leur rappeler pourquoi elles sont là), Bob Geldof lance la longue nuit par un discours plombant sur ce qu’il sait (et a vu) de l’Éthiopie. La course contre la montre est lancée ! Ce soir-là, parmi les 47 artistes présents, un seul quittera l’assemblée, Waylon Jennings, refusant de chanter en swahili (une langue africaine) sur la demande de Stevie Wonder.
Dans une ambiance mêlant fatigue, impatience et fierté (d’être à la hauteur), il y aura d’autres moments savoureux : Al Jarreau, à qui l’on a planqué les bouteilles de vin, lançant un brin ivre un hommage à Harry Belafonte avec une reprise collective (et a cappella) de Banana Boat; Cyndi Lauper qui gêne la prise de son avec sa collection de colliers, ou encore Bob Dylan, un peu perdu au beau milieu de cette faune trop pop pour lui. Après une session acoustique superbe et intimiste avec Stevie Wonder au piano, suivie des larmes de Diana Ross toute triste que ça se termine, cette grande famille éphémère rentre chez elle, consciente du devoir accompli. Sorti un gros mois plus tard, le 7 mars, We Are the World va engranger 80 millions de dollars. Pas sûr que le rock puisse vraiment «sauver le monde», comme le pense la chanteuse de Girls Just Want to Have Fun. Mais parfois, il arrive à contribuer à ce qu’il aille un peu mieux.
The Greatest Night in Pop de Bao Nguyen. Avec Lionel Richie, Bruce Springsteen, Cyndi Lauper… Genre Documentaire. Durée 1 h 37. Netflix