À défaut de pouvoir être célébrée comme d’habitude, sur les places et scènes du pays, la fête de la Musique, réduite à une seule journée, trouve refuge dimanche sur les ondes luxembourgeoises.
Organiser, cette année, un évènement aussi important que la fête de la Musique au Luxembourg, c’est un peu comme se lancer dans une étrange danse, à la chorégraphie calée sur l’évolution de ce satané virus. Un pas en avant, un autre en arrière, et au milieu, un paquet d’incertitudes et d’improvisations. Seule rengaine, entendue depuis trois mois : «Il fallait proposer quelque chose!», rappelle Séverine Zimmer, sa coordinatrice nationale, ne serait-ce que pour soutenir un secteur (et ses acteurs) qui tire la langue.
Ainsi, de multiples solutions ont été avancées : d’abord l’annulation et le report en 2021, nécessaires face à l’urgence de la situation sanitaire qui rendait impossible le maintien de l’imposante manifestation (400 concerts dans tout le pays sur cinq jours, et devant 50 000 personnes). Puis d’autres propositions, aventureuses, sont arrivées à un rythme régulier sur le tapis, comme une édition organisée à l’automne, ou une autre, en mode digital. Aucune ne sera retenue.
Finalement, il y a trois semaines, c’est le ministère de la Culture, par la voix de Sam Tanson (suivie de près par la Sacem), qui a suggéré d’offrir une mouture allégée, réduite à un seul jour (on la nomme d’ailleurs «journée de la Musique»), sur les radios luxembourgeoises. Marc Scheer, président de la fête de la Musique, raconte : «On a fait une réunion sur Zoom avec elle et les directeurs de RTL et 100,7. Tout le monde était partant!». Et derrière les deux radios majeures, «chefs de file» au pays comme le définit Séverine Zimmer, d’autres ont suivi. «Chacune a joué le jeu», lâche-t-elle, enthousiaste.
Dimanche, elles seront donc dix, avec leurs moyens et leurs envies, à mettre en avant les musiciens locaux dans une célébration certes singulière et tronquée, mais réelle. D’un point de vue pratique, le rendez-vous radiophonique épouse la philosophie de son modèle. «L’offre musicale doit être diversifiée, pour tout public et dans toutes les langues», poursuit Marc Scheer. Et sans contrainte imposée : «Les radios « invitées » programment ce qu’elles veulent. Artistiquement, elles sont libres !»
Cali passe la frontière
C’est le cas, par exemple, de Radio ARA, et l’une de ses voix emblématiques, Céline Agnes, qui animera ainsi une émission spéciale – en compagnie de son acolyte Jessica Lobo – durant une heure : «On va faire nos trucs habituels, passer la musique que l’on aime», soutient-elle, soulignant toutefois que si entrave il y a, elle vient des restrictions liées à la pandémie. «On n’a pas le droit d’être plus de trois dans le studio. Ça réduit les possibilités» (elle rigole). Chez elle, on pourra toutefois entendre «quelques nouveautés, deux ou trois titres enregistrés durant le confinement», et la voix de différents artistes venus se confier récemment à son micro (Maxime Bender, Benoit Martiny, Jeff Herr, Claire Parsons). Des interviews et chansons, en alternance, mais point de concerts «live» – question d’espace et donc de sécurité –, ce qui n’est pas le cas de RTL, aux ressources plus larges, ni de 100,7, qui proposera notamment trois concerts en «différé», immortalisés cette semaine sur la scène de l’Opderschmelz à Dudelange.
Patron des lieux, John Rech retrace l’intention, tout content d’avoir pu renouer avec la musique lui qui, ces dernières semaines, s’est plutôt vu comme un «déprogrammateur». «Tuys est venu lundi, et Schëppe Siwen mercredi. Dans le public, il y avait 40 invités, dont la moitié l’était par les groupes. Une demi-heure de ces concerts sera diffusée dimanche.» Demain, c’est même le célèbre chanteur français Cali, «un ami» dit-il, qui se pliera au même exercice et ce, devant 60 personnes, «espacées de deux mètres». «C’était important! Lui comme moi, on voulait offrir quelque chose au public.»
Quid des locaux sur les ondes nationales ?
Un louable dessein qui n’oublie pas pour autant, parallèlement, la situation des artistes, «en manque de partage», précise Céline Agnes, et d’argent aussi, que soutient farouchement la fête de la Musique. «Appuyer la scène locale, c’est de notre responsabilité!», lâche Marc Scheer. Dans ce sens, des cachets seront notamment remis aux musiciens ayant joués en «live», tout comme aux techniciens y ayant contribué (son, vidéo).
Mieux, cette version radiophonique soulève une question importante : la représentation des artistes grand-ducaux sur les ondes nationales. «Souvent, le « made in Luxembourg » souffre d’un manque de soutien, ose Séverine Zimmer. Là, ça va peut-être inciter les radios à poursuivre sur cet élan, et à en faire plus.» Évitant d’aborder la périlleuse question de quota, le président de la fête de la Musique lui, souhaite que la proposition fasse date. «J’espère que ça va les motiver à passer plus de musiques luxembourgeoise et alternative. Car la qualité est là!».
Dans ce sens, dimanche, il promet d’allumer son poste à la maison, et d’écouter, peut-être «avec des amis», les différentes propositions. Car elles seront nombreuses et de tout style. Le début d’une nouvelle ère? Céline Agnes a sa réponse : «Je ne suis pas scientifique, ni médecin, mais à mon avis, il va falloir s’adapter à l’avenir, et aborder les choses différemment. C’est sûr, le concert, les gens, l’ambiance, les discussions… ça manque, et jamais on ne pourra les remplacer. Mais il faudra continuer quoi qu’il arrive!» De toute façon, conclut-elle avec espoir, «la musique est plus forte que tout».
Gregory Cimatti
Radio Salopette, pour faire le plein d’ondes positives
«Bonne musique, bonnes nouvelles, bonne humeur»… Tel pourrait être le slogan de Radio Salopette, nom surprenant et inconnu au bataillon, même pour les habitués des radios luxembourgeoises. C’est que sa genèse est toute récente : d’abord magazine en ligne, créé en décembre, le projet s’est doucement déplacé vers les ondes, ne serait-ce que pour apporter une voix contraire au marasme du moment : «Les informations anxiogènes, les guerres, les virus… on en a marre!», soutient Ludivine, instigatrice.
Depuis sa maison, elle fait donc dans le positif et «l’humain», à travers un site qui se veut «vitrine» d’artistes comme d’associations. D’ailleurs, après un bref aperçu, ses idéaux sont plus grands, comme la défense de la cause LGBT (et ses extensions) : «Ça n’a rien de revendicatif, se défend-t-elle. C’est plutôt des questionnements et des réponses qui viennent de ma propre expérience.»
Côté musique, l’approche tient du même souffle : «Beaucoup de groupes ont du mal à se faire entendre, à ce que leur disque passe à la radio.» Sans distinction, ni jugement de valeur, et en toute humilité, elle leur donne ainsi «une chance», comme ce fut le cas avec celui par qui tout a commencé : Horny Henry, et son punk-rock revêche. Et depuis, «le bouche à oreille fonctionne!».
Dimanche, Radio Salopette aura donc l’occasion de se faire entendre auprès d’un plus grand nombre, surtout «qu’aujourd’hui, tout est plus simple avec un téléphone et une application». De 14 h à 22 h, et sans publicité («sauf sur le site», à l’avenir), Ludivine promet de faire du «100% luxembourgeois», des locaux qui, à ses yeux, ont le même poids que les artistes internationaux, comme Irina, son coup de cœur. «Sa voix n’a rien à envier aux meilleures!». Le rendez-vous est donc pris, pour bien finir le week-end, tout en légèreté.
G. C.