Récompensé par le Prix du meilleur réalisateur émergent au dernier Festival de Locarno, Hleb Papou présente son premier film coup-de-poing, Il legionario, en compétition au festival du Film italien de Villerupt. Rencontre.
À trente ans et avec son premier long métrage, Il legionario, Hleb Papou brosse un portrait de l’Italie à partir d’une histoire particulière : celle de Daniel (Germano Gentile), unique CRS d’origine africaine au sein de son unité de la section mobile de la police de Rome. Comme tout CRS, il a deux familles : une de sang, qui vit dans un immeuble illégalement occupé, et sa «famille» de travail, ses collègues, à qui il cache l’existence de sa mère et de son frère. Alors Daniel va se retrouver piégé dans un dilemme moral quand son unité est envoyée en mission pour expulser tous les occupants de l’immeuble.
«Personne ne fait ce genre de films en Italie», affirme le réalisateur italien né à Minsk, en Biélorussie, et de passage au festival du Film italien de Villerupt, où son film est assurément l’un des moments forts de la compétition. Lui qui maintient ne pas avoir voulu faire «un film rhétorique» déplore que le cinéma de son pays n’ose pas affronter des thèmes actuels en se réfugiant dans «le politiquement correct, qui est à la mode». Il cite BAC Nord (Cédric Jimenez, 2021) et Les Misérables (Ladj Ly, 2019), qu’il dit avoir vus et aimés, mais s’étonne qu’en Italie, plus personne n’ait exploré le monde anxiogène des CRS depuis Stefano Sollima et son ACAB – All Cops Are Bastards (2012) – encore un premier film –, qui s’est naturellement imposé comme «un point de référence évident» pour Hleb Papou.
Du court au long
Film coup-de-poing à la durée expéditive – à peine 1h20 –, Il legionario est un projet qui remonte à plusieurs années, lorsque Hleb Papou était étudiant en réalisation au prestigieux Centre expérimental de cinématographie, à Rome. En 2017, il réalise son «court métrage de fin d’études, qui s’intitulait déjà Il legionario. Il a été vu par une société de production, qui a racheté les droits à l’école et nous a proposé d’en faire un long», explique-t-il. Une nouvelle qu’il accueille avec enthousiasme, car selon lui, «un court métrage est forcément restrictif». «Un film de douze minutes, ce n’est pas taillé pour le grand public, ça ne sort pas en salles… Et puis, en si peu de temps, nous ne pouvions pas affronter tous les thèmes qui nous intéressaient, des thèmes qui me sont chers.»
Juxtaposer le réalisme social et le film de genre – ici, les cinémas d’action et policier – pour que s’en dégage, en filigrane, une observation angoissante de l’état d’un pays, voilà ce qui caractérise le cinéma de Hleb Papou. Et ce, depuis son premier court métrage, The Red Forest (2012), réalisé en Biélorussie, dans lequel une forêt est contaminée par du gaz toxique, une allégorie de la dictature d’Alexandre Loukachenko.
«Expériences de vie» sur le terrain
Dans Il legionario, l’observation est beaucoup plus fine, plus complexe aussi, plus ambitieuse : il s’agit là de mettre l’Italie face à ses propres contradictions, en déroulant en parallèle le récit de l’unité anti-émeutes et celui de l’immeuble occupé, jusqu’à un final choc. C’est ce que l’on trouve par exemple dans le racisme ordinaire des policiers. «Un racisme potache, une forme de camaraderie», assure Hleb Papou, qui a beaucoup observé les CRS pour préparer son film. «Tu peux être blanc, noir, jaune ou vert, à partir du moment où tu enfiles ton casque, ton uniforme et tout le barda, il y a une union très forte qui prend le dessus sur tout : tu es mon frère, je suis ton frère, on se protège mutuellement.»
Pour le film, le cinéaste, ainsi que ses scénaristes et son acteur principal, ont fait beaucoup de recherches «sur le terrain», «tant avec les policiers qu’avec les occupants d’immeubles», qui ont commencé dès la réalisation du court métrage. «J’ai rencontré un paquet de policiers, certains complètement fous, parfois très fascistes, mais j’ai également dormi dans l’immeuble que l’on voit dans le film, celui où l’on a tourné, qui est un véritable immeuble occupé, non pas en banlieue mais à vingt minutes à pied du quartier bourgeois de Termini, à Rome.» Des «expériences de vie» qui ajoutent du réalisme au film mais qui font dire en définitive à Hleb Papou : «Je n’aimerais pas vivre dans cet endroit… Mais je n’aimerais pas non plus être policier.»
Valentin Maniglia
Il legionario sera présenté ce jeudi soir à 20h30 (Cinéma Rio – Villerupt), en présence de Hleb Papou. Prochaines diffusions : samedi 6 novembre à 14h au (Starlight CNA – Dudelange) et dimanche 7 novembre à 11h (Cinéma Rio – Villerupt).