Avec des concerts à l’extérieur, debout, sans masque, pouvant accueillir 300 personnes encadrées d’un strict protocole sanitaire, le festival Congés annulés, aux Rotondes, voit l’été comme une «délivrance» et un premier pas vers la «normalité».
Sur le site des Rotondes, les gradins faits de palettes ont disparu. C’est qu’on s’était habitués, ces derniers mois, à les voir fleurir dans le paysage culturel, petits îlots bricolés permettant d’instaurer une distanciation sociale – nécessaire pour combattre un virus certes, mais si peu compatible avec l’idée que l’on se fait d’un concert, d’un spectacle «vivant». «Mais elles sont toujours là !», corrige Marc Hauser, programmateur des Congés annulés, pointant du doigt un amoncellement de planches de bois épargnées, mises à l’écart.
Le choix semble anodin, mais il est d’importance ! Préférant pour cet été une imposante infrastructure d’échafaudages, moins rustique, plus urbaine, le rendez-vous veut reprendre de bonnes habitudes, en commençant par l’essentiel : se donner les «allures d’un festival». Une autre esthétique pour une nouvelle ambiance, voulue plus décontractée, même s’il faudra pour arpenter l’armature de métal montrer patte blanche, ou plutôt son certificat Covid Check (vacciné, testé, guéri). Autre solution : accepter un rapide test antigénique sur place, histoire «d’éviter d’exclure toute une catégorie de gens».
Alors que l’année dernière le spectre d’un passeport sanitaire le faisait bondir, Marc Hauser, comme beaucoup, a mis de l’eau dans son vin. Aujourd’hui, il invoque le besoin d’un quasi-«retour à la normale», après une saison «galère» à voir la musique perdre son charme primaire et sa vitalité. Le festival, qui a connu une édition 2020 «correcte», a en effet dû se conformer à des mesures sécuritaires drastiques : 100 personnes maximum sous un chapiteau tendu à l’extérieur, des masques et des places assises pour tout le monde. «Il y a eu des échanges même si on ne pouvait pas se lâcher», souffle-t-il avec du recul.
C’est une délivrance ! Une sorte de retour à la normale où l’on peut s’amuser, tomber le masque…
Car en termes de vécu, il y a eu pire cette année, avec ce lot d’une quinzaine de concerts, organisés depuis février en intérieur, dans une salle déjà petite, ne pouvant alors accueillir… que 32 âmes ! Il témoigne : «C’était extrêmement frustrant. Déjà, ce format ne fonctionne pas avec tous les genres musicaux. Ensuite, en tant que programmateur, on est toujours en retrait. Sur le papier, on a une salle qui affiche complet, mais dans les faits, elle reste très parsemée… C’est triste, surtout quand la seule manière d’afficher son enthousiasme, c’est de taper du pied !»
Des souvenirs qu’il compte bien enterrer après l’expérience qu’il a connue en juin, à la fête de la Musique, lorsqu’il a déambulé jusqu’à la scène de ses amis-partenaires du Gudde Wëllen, posée dans le parc de la Coque, au Kirchberg. Estampillée Covid Check, la démonstration de force s’est faite devant 450 bienheureux, libres de bouger, de boire, de danser à leur guise. «Une délivrance !, lâche-t-il. Une sorte de retour à la normale où l’on peut s’amuser, tomber le masque… Et puis, ça fait tellement de bien de voir des gens debout, qui réagissent physiquement à ce qu’un groupe propose.»
À domicile, dans son «jardin» estival, Marc Hauser pourra ainsi réunir, dès ce soir pour l’ouverture, quelque 300 personnes. Sous la toile du chapiteau, toujours, elles pourront en profiter sans entrave en dehors, donc, de cet aspect «réglementé et cadré» à l’entrée. Une «phase transitoire vers un futur encore incertain mais positif», espère-t-il. Une norme à laquelle devront d’ailleurs se plier les amateurs d’apéro en longueur et de DJ sets, traînant sur le parvis jusqu’au bout de la nuit, ainsi que les 30 groupes-artistes invités à cette édition 2021.
À ce propos, l’affiche a, elle aussi, des airs de renaissance. Si l’on retrouve toujours des propositions «made in Luxembourg» (Francis of Delirium, Spudbencer, Cleveland, Sheebaba, The Cookie Jar Complot, NBLR…) – une habitude du festival –, l’offre a aussi des accents internationaux. Aux Congés annulés seront notamment représentés : la Belgique (Bothlane), la Suisse (L’Éclair), les Pays-Bas (The Mauskovic Dance Band), le pays de Galles (Gruff Rhys)… Et même les États-Unis (Horse Lords) comme le Canada (Deliluh). «Pour les premiers, on triche un peu car ils viennent d’emménager à Berlin. Pour les seconds, je ne sais pas comment ils ont fait !», rigole Marc Hauser, caustique.
En cette même période, l’année dernière, tout était régi par un cercle vicieux, expliquant la soudaine volatilisation (pour ne pas dire disparition) des groupes : sans festival, point d’artistes sur les routes, et sans artistes, point de festival ! Aujourd’hui, la tendance, bien que fragile, tend à s’assouplir : «Certains rendez-vous, prévus à la mi-août ou début septembre, sont maintenus, comme le Pukkelpop en Belgique ou l’End of the Road en Angleterre. À partir du moment où des groupes se déplacent, on arrive à les détourner et les faire jouer ici !», expliquent encore le programmateur.
Ce qui malgré tout, on l’imagine bien, n’a pas été de tout repos… «On eu de tout : certains groupes ne veulent pas prendre de risque cette année, d’autres se montrent raisonnables et privilégient un ou deux gros festivals, d’autres encore sont ultramotivés… Oui, c’était compliqué, mais ça l’est encore maintenant ! Tous les jours, on regarde ce qui se passe ailleurs…» Aujourd’hui, Marc Hauser avoue surtout observer les chiffres des préventes, qui grimpent en flèche. «Je ne sais pas si on peut parler d’engouement. Peut-être que les gens ont peur que ce soit complet, et anticipent.» Seule certitude dans un brouillard qui peine à se lever : «Ça va être bien !»
Grégory Cimatti
Rotondes – Luxembourg. Du 23 juillet au 25 août.
Tous les jours à partir de 17h.
Black Country, New Road
Sept jeunes talents britanniques qui s’amusent à casser les codes du rock. Longtemps tenu au rang de promesse, le groupe a sorti son premier album cet année (For the First Time), qui combine magistralement post-rock, free jazz et post-punk. Une expérience qui fonctionne aussi très bien en live.
Francis of Delirium
En 2019, Francis of Delirium, aux inclinaisons grunge, se dévoilait aux Congés annulés. Depuis, Jana Bahrich, 20 ans, avance à la vitesse d’un éclair : chroniques sur Pitchfork, signature chez CCA…. Là, elle calme le jeu et s’appuie sur un petit orchestre de chambre, placé sous la bienveillance de Pol Belardi.
Gruff Rhys
C’est en juin dernier que Gruff Rhys a sorti son petit dernier (Seeking New Gods), qu’il consacre… à une montagne, ses mythes, ses légendes. Des envies de grandeur qu’il célèbre dans une élégance pop, ses chœurs haut perchés et ses élans romantiques de tous les instants.
John Carpenter’s Dark Star / One MPC & Shake The Disease
Premier film de John Carpenter, Dark Star (1974) s’offre aux mains expertes de David Rouby (One MPC) et Romain Laurent (Shake the Disease). S’appuyant sur la version originale de 40 minutes, le duo, avec ses boucles «krautrock» et ses sonorités électroniques planantes, promet un vrai trip dans l’espace, sans Jeff Bezos.
Los Bitchos
Surgies en 2019 sur la scène britannique, ces cinq musiciennes délivrent des instrumentaux où s’entrelacent avec légèreté psychédélisme et garage-rock. Leur son pourrait être celui des Shadows, en mode Amérique latine et sous tequila. Il est surtout idéal pour terminer l’été à Luxembourg.