Quand le festival de la Philharmonie invite aux retrouvailles, la compositrice luxembourgeoise prend le message au pied de la lettre, conviant 140 musiciens de l’UGDA pour une promenade sonore le long de l’Alzette. Découverte.
Elle a, d’une certaine manière, écrit la bande originale des rainy days, auquel elle est associée, de près ou de loin, depuis 2013. En compagnie de l’Ensemble Recherche, elle a en effet, il y a quelques années, imaginé une pièce pour trio à cordes «préparées» qui imitait… «le bruit de la pluie». «C’était réussi. On était comme en dessous !», soutient-elle. Depuis Die Regenmacher, Catherine Kontz a gardé tout son enthousiasme à l’approche d’un festival «immanquable», qui essaye de prouver depuis 2000 que la musique contemporaine n’a rien d’élitiste et, par ruissellement, qu’elle est l’affaire de tous.
«Jouer dans une grange, c’est sympathique, mais ce n’est pas très grand public, poursuit-elle dans un rire. Qu’un tel rendez-vous soit porté par la Philharmonie, c’est important : c’est un lieu central qui attire un autre public. De toute façon, je n’aime pas écrire uniquement pour les gens qui aiment déjà la musique contemporaine. L’entre-soi n’est jamais révélateur. Il faut que ça marche pour tout le monde !». Et même si, à travers les commandes qu’elle reçoit, il est régulièrement question d’oser, d’expérimenter, encore et encore, cela ne se fait pas sans prendre en compte le public.
C’est encore le cas pour Driwwer, Drënner Drop, sa nouvelle création. D’autant plus vrai que l’heure est aux retrouvailles, résumée dans un appel du pied de la Philharmonie qui a estampillé cette vingtième édition d’un manifeste «Come together again». Un ralliement que la compositrice luxembourgeoise a pris au pied de la lettre, s’alliant pour la première avec l’UDGA (Union Grand-Duc-Adolphe) pour une promenade sonore d’une heure le long de l’Alzette, conférant aux quartiers de Clausen et du Grund de toutes nouvelles sonorités. «Une aventure collective hors norme», synthétise-t-elle. «Ça correspond bien à la thématique, non ?».
Dans les faits, le 27 novembre prochain, à deux reprises, Catherine Kontz va servir de guide aux curieux et amateurs d’expédition, baladés sur un peu plus d’un kilomètre dans une ambiance champêtre. «Moi à l’avant, et tout le monde derrière !, rigole-t-elle. Je suis la barrière, personne ne peut passer !». Sous sa coupe, la déambulation s’arrêtera alors sur sept îlots, où sont dispersés pas moins de 140 musiciens et musiciennes, de tout niveau, âgés entre 5 et 18 ans. Même les enseignants sont de la partie. «Ce décloisonnement est essentiel. C’est pour tout le monde !», rappelle-t-elle.
Chacun devra écouter ce que les autres font pour savoir quelle note jouer
Une ouverture que la compositrice ne prend pas à la légère. Avec elle, elle s’enracine au cœur même du projet, entamé en 2019. D’abord en se tournant vers les plus jeunes, aux préjugés moins sensibles. «Les enfants sont plus ouverts, et souvent, la musique contemporaine est une nouveauté pour eux. On part d’une page blanche…». Une pédagogie qui s’observe dans ses choix, comme celui d’imaginer une joute sonore entre la ville et la forêt. D’un côté, des instruments qui retranscrivent le tumulte urbain, entre embouteillages et klaxons. De l’autre, le chant des oiseaux et la douceur rurale. «C’est moins abstrait qu’une pièce muette ou absconse. Quelque chose que l’on peut se saisir.»
Ensuite en oubliant la scène, en cassant les murs et en offrant un bol d’air aux habitudes pour les moins cloisonnées. Elle s’explique : «Dans une salle normale, on connaît le cadre, on sait comment le public va réagir. À l’extérieur, il est plus bienveillant : il ne sait pas à quoi s’attendre, fait plus attention à ce qui l’entoure. Il a plus conscience du lieu, du temps… et sait qu’il vit un moment éphémère, unique. Si on n’est pas là, on ne peut pas revivre la même expérience.» Un exercice que Catherine Kontz voit comme un «happening» bien que, selon ses aveux, le cadre est quand même là. «C’est libre, mais c’est contrôlé !».
Ainsi, au gré des différentes haltes, on devrait trouver des saxophonistes au bord de l’eau, des flûtistes sans partition – «chacun devra écouter ce que les autres font pour savoir quelle note jouer» – et une chorale qui tourne en boucle autour de seulement quelques mots. Ce qui fait dire à la compositrice, qui a encore deux semaines devant elle pour finaliser le projet : «Ce n’est pas la musique qui m’inquiète, et qu’importe les fausses notes ! Par contre, la logistique…».
Bien sûr, outre le besoin de caser tout le monde, dont elle-même, qui assure parfois le rôle de chef d’orchestre – «il faut alors que je sois visible» – revient le sempiternel souci météorologique. «Quand il y a deux semaines, j’ai montré le chemin que l’on avait décidé aux professeurs, c’était l’apocalypse ! On a pris un sacré orage et des trombes d’eau.» Aujourd’hui au sec, et dans un humour intact, elle relativise : «En même temps, ce sont les rainy days, pas les « sunny days » !».
Grégory Cimatti
Les rainy days reviennent et sonnent le rassemblement
«Come together again»… L’appel se veut direct, sans fioritures. Logique après des derniers mois compliqués par une pandémie, qui a d’ailleurs eu raison de l’édition 2020. Pour son retour, le festival rainy days, mettant à l’honneur depuis 2000 les musiques nouvelles, explore alors les rencontres sous toutes leurs facettes : une invitation à écouter, voir, et expérimenter le vivre ensemble à l’occasion de 21 concerts et performances (dont 18 créations).
Dès demain, l’ouverture se fera en fanfare avec l’artiste multiforme William Kentridge (Ursonate) qui, par là même, en termine avec le «red bridge project». Durant trois semaines, les propositions iront bon train, avec les venues, entre autres, de l’étoile du free-jazz Anthony Braxton, d’Alvin Lucier, légende du minimaliste ou de L’Instant Donné, ensemble sous influence du compositeur Georges Aperghis. Comme le veut la tradition, le dernier jour du festival offrira une mosaïque de concerts d’une durée de 20 minutes, histoire d’affirmer que les rainy days, c’est pour tout le monde !
Du 12 novembre au 5 décembre. philharmonie.lu