Tu me quitteras jamais? – Non. – Alors, je t’aimerai toujours.» Dans le nouveau film de Fabrice Du Welz, disponible dès maintenant en VOD, il est question d’amour. L’amour comme rarement on l’aura ressenti devant un écran.
Paul, jeune garçon solitaire qui vit seul avec sa mère près de la clinique psychiatrique où celle-ci travaille, rencontre Gloria, une jeune fille internée. Fasciné et amoureux, Paul aide Gloria à s’échapper, et tous deux s’enfuient pour un monde qui n’appartient qu’à eux. Un monde où l’amour est une matière à la fois concrète et céleste, mais aussi le monde d’une enfance qui, en refusant de disparaître, devient le péril des adultes.
Tout au long des 98 minutes d’Adoration, on évolue dans l’univers sensoriel et expérimental de Fabrice Du Welz, dont on a l’impression que son œuvre entière devait converger à cet objet unique qui représente, d’une part, un aboutissement complet des thèmes étudiés dans ses précédents films, de l’autre, une nouvelle porte d’entrée. Vers quoi? Le sentiment que l’on éprouve devant le film va chercher au-delà de toute réflexion, mais il y a la sensation de la prise de risque, bien présente; tout cinéaste de l’absolu – et s’il en existe, Fabrice Du Welz est de ceux-là – doit éprouver la prise de risque et la porter à son aboutissement pour aller chercher un point de rupture qui le libère.
La zone brumeuse entre passion et folie, où le cinéaste convoque horreur et grotesque, est cette fois-ci explorée à travers le prisme de la pureté et de l’innocence et, «inexorablement» («Inexorable, c’est un truc qui doit se passer», explique Gloria à Paul), s’ouvre vers autre chose dans son dénouement.
Un cinéaste radical
On retrouve dans Adoration des figures et des aspects qui évoquent les précédents films de Fabrice Du Welz, mais à l’intérieur de l’effort d’un cinéaste qui a mûri, appris de ses réussites et de ses échecs et qui semble déterminé à s’imposer, dans son cheminement artistique comme dans ses questionnements, de manière totale.
Autrement dit, dans son cinéma de l’intime – où la frontière entre l’homme et l’artiste est une membrane transparente qui peut être traversée des deux côtés – ce que Du Welz mettait de lui-même se traduisait par une démesure dans la conception de films de grande ampleur, dans une folie et une horreur exubérantes.
Adoration revoit et réinterprète tout cela (la quête qui s’effectue en errant sur un bateau comme dans Vinyan, l’amour qui sème la mort, déjà au cœur d’Alleluia) avec un nouveau regard, celui d’une caméra qui filme à hauteur d’adolescent. Celui d’un cinéaste qui construit une filmographie qui compte parmi les plus rares et les plus importantes du cinéma francophone et qui ne peut être comparée au niveau international, sinon à de grands radicaux, la plus rare des espèces (citons Werner Herzog ou Lars Von Trier).
Un film qui ne ressemble à aucun autre
Adoration, c’est aussi la signification du prénom de l’héroïne, Gloria, «gloire», et un sous-entendu spirituel dans lequel l’amour pur mène à une élévation. C’est aussi le sentiment que Paul, un Adam moderne, voue à son Ève, Gloria. Lui est moins trahi par sa carrure robuste et sa grande taille que par son visage angélique, qui va de pair avec sa gentillesse suprême, mais il le comprendra, dans une séquence magnifiquement expérimentale où le garçon se retrouve face à sa quête, côte à côte avec un Benoît Poelvoorde bouleversant.
Paul et Gloria se nourrissent mutuellement de leurs sentiments, que Du Welz met en scène dans une vision organique de bout en bout (le travail du chef opérateur Manu Dacosse et la pénétration de la lumière dans la pellicule 35 mm sont divins), et qui est ponctuellement empoisonnée par une inquiétude aveugle.
On est embarqué dans cette odyssée où l’un se révèle toujours indispensable à l’autre, à la condition que l’on accepte de se laisser emporter par les images et l’incarnation saisissante des deux jeunes acteurs qui transcendent la dramaturgie, pour un film qui ne ressemble à aucun autre.
Valentin Maniglia
Adoration, de Fabrice Du Welz. Avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Anaël Snoek, Benoît Poelvoorde…
Genre : Drame, thriller. Durée 1 h 38.