En mai, à la Biennale d’architecture de Venise, le pavillon du Luxembourg proposera une installation immersive où le son joue un rôle central dans l’étude et la compréhension du territoire et de l’environnement.
Le son est à la mode. Cela s’entend et surtout se voit à travers de multiples projets artistiques, comme l’année dernière, déjà à Venise, lors de la Biennale d’art contemporain («A Comparative Dialogue Act»). Sur sa lancée, le Luxembourg compte à nouveau en mettre plein les oreilles, toujours en Italie mais ce coup-ci, dans une approche architecturale avec «Sonic Investigations», proposée par trois commissaires, appuyée par deux spécialistes et soutenue par deux institutions (Kultur | lx, Luca). Une exposition «originale» pour le ministre de la Culture, Eric Thill, qui rappelle au passage toute l’importance de la démarche, nécessaire pour «façonner» l’avenir du vivre-ensemble et «repenser» les espaces de vie.
C’est vrai qu’aborder le territoire et l’environnement à travers le son est singulier, et pourtant, quand on y prête attention, le Grand-Duché est saturé de bruits, venant notamment des axes autoroutiers, que l’on entend «quelque soit l’endroit où l’on se trouve», selon Mike Fritsch, l’un des architectes porteurs du projet. Sur ce point de départ va venir se greffer une autre préoccupation : en architecture, où le visuel prime, l’écoute est relayée au second plan. «Dans nos sociétés saturées d’images, la vue semble éclipser tous les autres sens, soutient ainsi Alice Loumeau, également commissaire, alors que «ces derniers sont essentiels à l’appréhension des dynamiques invisibles qui façonnent notre relation» à l’espace.
Data center et chauves-souris
L’idée qu’ils avancent avec un troisième compère, Valentin Bansac, est simple : faire un pas de côté pour changer de point de vue. «En architecture, on est focalisé sur le regard. Dans les plans d’aménagement du territoire, souvent faits à distance, on dessine des lignes sans se rendre compte des réalités», synthétisent-ils d’une même voix. En réponse, le trio, à la manière d’ethnologues aux «postures incarnées», «investissent le terrain» afin de montrer qu’une «frontière est bien plus complexe» qu’un simple trait réalisé sur une carte. Le son est là pour en témoigner, déplaçant «l’attention» et ouvrant par prolongement de nouvelles possibilités «pour explorer les environnements construits et naturels».
En contrepoint de l’hégémonie des images, l’écoute devient un acte politique
Concrètement, une partie de la tâche est revenue à Ludwig Berger, artiste sonore qui a trimballé son matériel dans tout le pays, à la recherche d’une dizaine de sites «spécifiques» en pleine transition ou mutation. Comprendre où la nature se confronte à l’intervention de l’homme, à l’image «d’un champ touchant un data center, ou d’une forêt côtoyant un barrage hydroélectrique», explique Mike Fritsch. Dans ces zones «de confrontation et de tension», qui ne sont toutefois pas uniques au Luxembourg, «Sonic Investigations» donne voix à des «entités invisibles, sous représentées, négligées».
Le ronronnement de la centrale solaire de Differdange ou celui du parc satellitaire de Berdorf répondent alors aux sons géologiques et aquatiques, aux vibrations électromagnétiques et à d’autres «détails microscopiques», tels que le bruit des chauves-souris et des insectes. Ainsi, pour l’équipe, enregistrer un barrage ou une éolienne (parfois à l’aide de 14 microphones en même temps) a une double utilité : d’abord montrer comment le développement des énergies renouvelables et des infrastructures numériques façonnent le paysage d’aujourd’hui. Et ensuite donner certaines clés pour «mieux analyser l’environnement avant d’agir», ou du moins, de «manière plus fine ou plus adaptée».
«Fermer les yeux et écouter»
Si «Sonic Investigations» est une œuvre «politique», elle ne compte pas donner de leçon pour autant, et n’a pas non plus «vocation à venir nourrir le projet de loi sur la nuisance sonore» au Luxembourg. Non, elle sera avant tout pédagogique, descriptive et analytique, avec tous les moyens pour y parvenir : d’abord, en guise d’introduction, avant d’entrer dans le pavillon, un haut-parleur géant pour mettre dans l’ambiance, et à la sortie, une sorte de «making-of» qui donne un aperçu global de la méthodologie du projet, grâce à des images, des textes et des documents sur les enregistrements de terrain. On apprendra notamment que ces travaux in situ sont le fruit de rencontres avec des spécialistes issu(es) de nombreuses disciplines comme l’histoire et la science des données, l’écologie, les sciences sociales ou l’ingénierie.
Entre les deux, la pièce centrale invite «à fermer les yeux et à écouter activement» ce que les enregistrements ont à dire, selon les affirmations d’Alice Loumeau. Une expérience sonore d’une durée de 30 minutes, éloignée de l’abondance des images, toutefois soutenue par des écrans qui fourniront des indications et des informations sur les sons diffusés. Pour finir, cette «plateforme», vu comme un outil éducatif qui «génère des connaissances» plutôt que du «contenu physique», opte pour une scénographie en adéquation à l’époque et à ses intentions : minimale et écoresponsable. Et le tout sera résumé dans un ouvrage édité en collaboration avec le philosophe et musicologue Peter Szendy. Comme quoi, le visuel reste toujours indispensable.
«Sonic Investigations»
Du 10 mai au 23 novembre.
Arsenale / Sale d’Armi – Venise.