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[Expo] Robert Morris au Mudam : la perception du pionnier


Derrière une certaine simplicité de façade, les œuvres de Robert Morris proposent toutes un deuxième niveau de lecture plus profond, comme ici Mirrored Cubes (1965/1971). (Photo : Julien Garroy)

Le Mudam ouvre, samedi, sa nouvelle exposition «The Perceiving Body» dédiée au travail réalisé pendant les années 60 et 70 par le pionnier américain de l’art contemporain Robert Morris.

L’annonce de sa mort en novembre 2018, à l’âge de 87 ans, avait plongé le monde de l’art contemporain dans une grande tristesse. Car Robert Morris était considéré comme une des figures majeures de la scène artistique de la seconde moitié du XXe siècle, un des principaux représentants et théoriciens du minimalisme, sans oublier un des pionniers de l’«art performance» et de l’installation.

Malgré la disparition de l’artiste, l’exposition – «initiée par le Mudam», comme le rappelle la directrice des lieux, Suzanne Cotter – n’a rien d’une rétrospective ou d’une anthologie. Comme les responsables des lieux l’avaient annoncé en octobre dernier lors de la présentation de la saison 2020, ce nouveau projet répond à l’envie de contextualiser l’art contemporain. «L’exposition s’inscrit dans un des axes de la programmation du Mudam qui est de faire résonner l’art contemporain avec ses sources historiques», note le curateur en chef du musée, Clément Minighetti. Le but étant de «donner aux visiteurs des perspectives pour mieux saisir les objets artistiques contemporains».

(Photo : Julien Garroy)

Les grandes pièces en feutre industriel de Robert Morris. (Photo : Julien Garroy)

Mise en place en collaboration avec le musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne par le commissaire Jeffrey Weiss, ancien conservateur en chef du Guggenheim Museum de New York, l’exposition ne cherche donc nullement à être exhaustive ou ne serait-ce que chronologique. Les responsables ont décidé, au contraire, de proposer là un nombre réduit d’œuvres réalisées uniquement pendant les deux premières décennies de la carrière de Robert Morris. «Une petite sélection d’œuvres iconiques, connues, mais pour autant rarement vues, du moins réunies de cette façon», insiste-t-on du côté du Mudam.

Des œuvres réunies dans sept espaces différents du musée conçu par Ieoh Ming Pei : dans le Grand Hall du rez-de-chaussée ainsi que dans les deux grandes galeries du premier étage. Une exposition sans sens de visite prédéfini, précise Jeffrey Weiss, «On peut débuter la visite où on veut et la terminer là où se trouve la dernière pièce qu’on voit.»
Ainsi, au hasard de sa visite, le visiteur pourra commencer par les Mirrored Cubes (1965/1971, photo), Ring with Light (1965/1993), 3Ls (1965/1970), Scatter Piece (1959-2009), Portland Mirrors (1977) ou encore ses grandes pièces en feutre industriel.

Morris et ses «Investigations»

Des œuvres de taille humaine, pourrait-on dire, aux formes simples : cubes, rectangles, ronds, losanges, mais qui, derrière une certaine simplicité de façade, proposent toutes un deuxième niveau de lecture plus profond qui rappelle, selon l’œuvre, différentes notions qui traversent l’œuvre de Robert Morris, reprend Clément Minighetti : «La perception changeante d’une œuvre à travers le mouvement, la relation physique du spectateur à l’œuvre, la relation de l’œuvre à l’espace, la rupture avec l’idée de composition traditionnelle, l’exploration de nouveaux matériaux à caractère industriel, le caractère des formes solides, anguleuses, rigides ou en opposition souples, molles, des feutres par exemple, ainsi que le jeu des miroirs, les reflets, le vide et l’infini.» Ainsi, le visiteur est invité à s’approcher au plus près des œuvres, à plonger, presque, dans ces «Investigations» – c’est ainsi que Morris aimait décrire son travail –, à leur tourner autour pour changer de perspective et, petit à petit, à laisser les œuvres entrer dans son espace personnel en même temps que son reflet entre dans l’œuvre grâce aux miroirs ou aux dimensions de celle-ci.

Portland Mirrors. (Photo : Julien Garroy)

Portland Mirrors. (Photo : Julien Garroy)

L’œuvre ultime, dans ce sens, est probablement Portland Mirrors. L’installation d’envergure, présentée dans le Grand Hall du Mudam, présente quatre grandes poutres en bois posées à même le sol en forme de losange qui relient quatre grands miroirs se faisant face par paires. Le visiteur qui ose enjamber les poutres arrive donc dans un espace de réflexion infinie où il retrouvera son reflet, ainsi que celui du musée.

À l’inverse, Scatter Piece, œuvre constituée de 200 éléments, risque bien de surprendre le visiteur dans un sens moins positif. Composée d’éléments de métal ou de feutre posés au sol soit à plat soit pliés ou encore superposés les uns aux autres dans un espace occupant la quasi-totalité d’une des galeries du premier étage, l’œuvre est certes intéressante par son caractère ouvert, changeant. Comme l’explique Clément Minighetti, «l’artiste délègue le placement des différents éléments à une autorité autre que la sienne» – ici, des enfants qui ont été encadrés par le service des publics –, ce qui transforme l’œuvre à chaque fois. Mais Scatter Piece s’apparente à ce que les détracteurs de l’art contemporain détestent : des chutes d’objets à même le sol, comme on pourrait en trouver dans n’importe quel atelier désordonné.

Qui plus est, alors que le principe même de l’exposition et du travail de Morris tient à ce que l’observateur se déplace autour de l’œuvre, ici, le visiteur est limité dans ses mouvements dans un seul couloir entre les deux entrées de la galerie. «Un problème de conservation de l’œuvre», explique le commissaire, «un compromis», ajoute-t-on du côté du musée, mais une manière de découvrir l’œuvre en totale contradiction avec le reste de la visite. Du coup, même s’il n’y a pas de sens de visite à ce «Perceiving Body», on se dit qu’il serait quand même bien regrettable de finir par là.

«The Perceiving Body», Mudam. Jusqu’au 26 avril.