Pour sa réouverture, le Centre Pompidou-Metz s’intéresse à la notion de folklore, et aux relations qu’entretient la création artistique, depuis le XIXe siècle, avec d’anciennes traditions, avérées ou fantasmées.
Il y a dans l’air un parfum de retrouvailles appuyées. En apnée après trois longs mois d’immobilisme, le Centre Pompidou-Metz retrouve un souffle de vie, porté par le charmant accent italien de sa nouvelle directrice, Chiara Parisi. «C’est une journée symbolique !», dit-elle à propos. Mais plus que des mots, cette réouverture s’accompagne de signes qui ne trompent pas.
Ici, la réplique de l’atelier («Paper Temporary Studio») dans lequel Jean de Gastines et Shigeru Ban ont imaginé le musée, au début du nouveau siècle. Là, un fier noyer de bronze et de marbre dévoilé par l’artiste Giuseppe Penone. Oui, le message est clair : l’histoire reprend son avancée, et c’est tant mieux, surtout quand on célèbre dix ans d’existence, pas de tout repos.
Un pont entre le passé et le présent – ou plutôt le vivant – qui se retrouve également dans cette exposition de rentrée insolite, intitulée sobrement «Folklore», comme pour insister sur le poids d’un sujet aux multiples controverses. D’ailleurs, dès les premiers pas, les deux commissaires posent le décor. Jean-Marie Gallais : «C’est un mot tabou, assez péjoratif», commence-t-il. Marie-Charlotte Calafat, elle, préfère l’exemple concret avec un ouvrage datant de 1938 qui, après 350 pages de réflexion, arrive à une conclusion sans appel : «Ça ne sert à rien d’essayer de définir le folklore, car c’est un sujet complexe et clivant», raconte-t-elle.
Cette dernière s’y est déjà plongée en 2018 quand «son» musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) – qui présentera à son tour, plus tard, l’exposition à Marseille –, s’intéressait à celui des «arts et traditions populaires», fondé en 1975. L’idée derrière ces projets reste finalement la même : aller au-delà du cliché, d’une vision passéiste et artificielle, pour aborder le thème d’un œil neuf, moderne.
C’est un fait, mais le folklore – mot apparu au milieu du XIXe siècle en Grande-Bretagne, qui désigne le «savoir du peule» – est une source d’inspirations pour les artistes. Certains s’en fascinent, d’autres se le réapproprient ou le critiquent. Bref, il ne laisse pas insensible, et la création s’en ressent. D’étroites relations, vieilles d’un siècle et demi, faites d’emprunts et de contestation, mais aussi de mythes et de légendes, dont le Centre Pompidou-Metz se fait ici témoin.
L’ambition est de taille, d’où cette approche exclusivement réduite à l’Europe, malgré les quelque 500 œuvres réunies. On y suit notamment les artistes en quête de traces du passé. Sur les murs, une citation de Paul Gauguin : «J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, le primitif». Une autre de Brancusi, figure d’avant-garde : «Je ne suis ni surréaliste, ni cubiste, ni baroque, ni rien de semblable. Moi, avec mon nouveau, je viens de quelque part de très très ancien.»
Quand le folklore devient une arme idéologique
D’ailleurs, alors que ses Colonnes sans fin choquaient New York, chez lui, en Roumanie, elles étaient vues comme elles devaient l’être : un héritage de l’artisanat local. De leur côté, Vassily Kandinsky et sa compagne Gabriele Münter collectent des objets et les classent, d’abord en Russie, puis en Bavière. D’autres appropriations sont nettement moins élégantes et authentiques, surtout quand s’agitent les spectres des identités nationales. Le folklore devient alors une arme idéologique – il a notamment été détourné au service de la propagande du maréchal Pétain, attaché au régionalisme, au retour à la terre et aux festivités populaires –, comme le souligne l’exposition. Mais il peut être aussi racoleur, comme l’imagine, pour sa part, Melanie Manchot, renvoyant la Suisse à son image de «fabrique à folklore», avec son lot de costumes kitsch et ses massifs montagneux en arrière-fond.
L’exploration se poursuit avec une riche section consacrée aux formes, aux techniques et aux motifs, à la palette inépuisable et touche-à-tout (costume, mobilier, accessoire…). Ainsi, entre 1916 et 1919, d’un beau geste abstrait, la Russe Natalia Gontcharova magnifiait la femme espagnole. Un siècle plus tard, Janek Simon laisse lui parler la machine, et concocte, grâce à une imprimante 3D, des tableaux artificiels d’un «folklore de synthèse»…
Plus loin, il s’agira de saisir «l’immatériel», ces gestes coutumes «qui ne s’apprennent pas à l’école», mais qui se «transmettent de génération en génération». Le folklore se mêle alors au conte, à la musique et la danse, aux croyances, aux usages et aux langues aussi. C’est là qu’interviennent, avec panache, Les Géants de la montagne d’Emil Nolde, introduction picturale au fantastique, ses créatures, ses rituels, avec un détour par l’art chamanique et le paganisme (esprits des montagnes, divinités liées à la nature…), comme l’a fait à l’époque Joseph Beuys et le groupe CoBrA.
La dernière partie, bien nommée «Enquêter, Collecter, Classer», s’attarde sur la difficulté d’étude et de sauvegarde des traditions populaires. Les artistes empruntent alors aux ethnologues leurs méthodes d’enquête et de collecte, puis de classement ou de reconstitution. Le Gardian en selle, immortalisé au musée national des Arts et Traditions populaires, disparaît de l’image pour ne laisser que ses accessoires, suspendus à un fil, comme dans un souci d’honnêteté culturelle.
Saluons, pour terminer l’enthousiasmante conclusion, ramenant le folklore dans le grand bouillon d’aujourd’hui, planétaire, universel. Tandis que Bertille Bak, et sa triple vidéo pleine d’humour (Usine à divertissement) étrille le tourisme, le Mollah Nasreddine (œuvre signée du collectif Slavs and Tatars), chevauchant son âne à l’envers, avance vaille que vaille, droit devant mais sans jamais oublier le passé. C’est que l’on vient bien de quelque part.
Grégory Cimatti
Centre Pompidou-Metz
jusqu’au 21 septembre
www.centrepompidou-metz.fr