L’humain, à la fois victime et bourreau de la planète : à Neimënster, une exposition photographique donne à voir des histoires de la crise climatique, provoquant quelques chocs.
On connaît beaucoup d’images de glaciers qui fondent, de zones agricoles terrassées par la sécheresse ou de forêts ravagées. On sait aussi, de loin, les effets actuels de la crise climatique, uniquement voués à jouer la démesure dans le temps. Présentant à Neimënster l’exposition photo «Earth is not flat but soon will be – Climate Stories Near & Far», sa commissaire, Yasemin Elçi, prévient pourtant que «ce n’est pas seulement une exposition sur le changement climatique; ce qui est montré ici, c’est l’expression du désir inflexible de l’humain de dominer».
«On veut croire qu’on est au sommet de notre civilisation, mais on peine à relever un défi de taille, celui de réparer le mal qu’on fait à la nature», abonde-t-elle. Et, surtout, «on néglige tout l’impact négatif qu’on provoque».
À travers le travail de cinq photojournalistes du monde entier, l’exposition propose donc de dévoiler, dans différents endroits de la planète, aussi bien les causes les plus dévastatrices du désastre environnemental que ses effets, sélectionnés sous un regard unique. La commissaire explique avoir ici un «devoir de responsabilité vis-à-vis des problèmes qui persistent à exister en société», et dont elle souhaite se faire la «porte-voix».
En dédiant par exemple la dernière salle – plus intime, plus intense aussi, émotionnellement – à des histoires de femmes. Les trois mères somaliennes ayant «perdu leurs fils à la guerre» subissent, impuissantes, la transformation de leur terre; Nichole Sobiecki, Américaine basée au Kenya, la révèle dans des vues rurales arides, étouffantes, et des contre-plongées pointant vers un ciel peu empli d’espoir.
Au zoo et en forêt comme au théâtre
La dimension théâtrale (car tragique) des clichés d’Andrea Mantovani et de Kerem Uzel ouvre à un dialogue. Avec la série Le Chant du cygne, la photographe française a documenté en 2017 les coupes dans la forêt primitive de Białowieża, située à la frontière entre la Pologne et le Bélarus : en huit images allant du documentaire brut à des scènes plus «innocentes», elle déconstruit la destruction d’une flore et d’une faune uniques au monde.
Le Turc, lui, «se déplace dans plusieurs zoos, en Europe et au-delà», précise la commissaire d’exposition, pour le projet Lifetime Captivity, toujours en cours. Une lionne dans une cage de béton, un animal pas évident à distinguer – même en grand format – quand il est vu à travers l’eau marron du bassin…
Voilà qui «invite à réfléchir sur le zoo en tant qu’institution et ses pratiques dans notre époque, qu’on veut promettre à la durabilité et à la protection de l’environnement», analyse Yasemin Elçi. Mais dans nos sociétés occidentales, le zoo porte surtout l’indéfectible relent du colonialisme : «On se persuade qu’on contribue à préserver des espèces rares, tout en servant à l’éducation et aux loisirs. Mais ces espèces ne seraient pas devenues rares si on n’avait pas, à l’origine, interféré avec leur environnement», résume-t-elle.
«Engagement du visiteur»
Au cœur de l’exposition, «une sélection tirée de trois séries» du projet Moving Sand, réalisées par Mathias Depardon en Inde, au Cap-Vert et aux Maldives, «trois lieux où l’extraction de sable est légale et non réglementée». Dans ce projet, les causes et les conséquences se rejoignent, le photographe change d’échelle entre une nature maltraitée, voire mourante, et ses répercussions sur la population : «inégalités sociales», «migrations liées au climat»…
La commissaire se charge de rapprocher les gros plans des grandes vues dans un accrochage inhabituel, évoquant la forme du collage, ou encore le cinéma. Yasemin Elçi : «Puisqu’on aborde un sujet brûlant, je voulais que cette exposition soit dynamique, qu’elle sollicite l’engagement du visiteur.» Elle l’invite, sous les salles voûtées, à «se rapprocher, reculer, se baisser», bref, à «ajouter de la densité» à cette exposition déjà puissante.
Avec son titre ironique, l’exposition veut renvoyer «à cette perception, qui passe pour une certitude, que ceux qui ont vécu avant nous, et les civilisations avant eux, manquaient du savoir et de la sagesse dont on dispose aujourd’hui». Mais si Yasmin Elçi fait trôner le portrait d’une dame appartenant au peuple Evenk, présent en Russie et en Chine, c’est justement pour exprimer «combien on a besoin de la sagesse ancienne» dans des temps si obscurs.
Elle sait que, «dans quelques centaines d’années, les gens penseront que nous étions ceux qui croyaient que la Terre était plate». «Nous devenons tellement aveugles quand il s’agit d’évaluer notre place dans le monde», commente-t-elle. En espérant déclencher peut-être, avec cette exposition, un recouvrement général de la vue.
Jusqu’au 30 septembre.
Neimënster – Luxembourg.