En 1979, sur la demande de Paris Match, le célèbre photographe est parti à la découverte du camp d’extermination nazi. Ses clichés, d’un noir et blanc profond, se dévoilent pour la toute première fois à Paris.
Il souffle : «Là, vous vous dites, c’est la folie humaine!». C’est ainsi que le photographe français Raymond Depardon, 82 ans, décrit sa découverte en hélicoptère, en 1979, du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, objet d’une exposition inédite qui se tient actuellement au Mémorial de la Shoah à Paris. «Vous voyez des choses vous ne voyez pas au sol… On ne peut comparer cela à rien, je n’avais jamais vu ça», ajoute celui qui a été l’un des tout premiers photographes professionnels occidentaux à photographier le site de plus de 40 km2 situé près de la petite ville d’Oswiecim (en Pologne), entré la même année au patrimoine mondial de l’Unesco.
Plus d’un million de personnes, dont 90 % de confession juive, y ont été exterminées pendant la Seconde Guerre mondiale. «Pour moi, ce camp, c’était toute la guerre», ajoute cet «enfant de l’après-guerre» qui raconte avoir grandi dans la ferme de ses parents près de Villefranche-sur-Saône (dans le Rhône), où travaillaient «deux prisonniers allemands» qui lui ont fabriqué une «luge» et qu’il voyait comme des «hommes normaux». Son seul souvenir du conflit. Baraquements, quai de gare, potences, miradors, barbelés, chambres à gaz, fours crématoires… Les photographies en noir et blanc qu’il a réalisées à Auschwitz-Birkenau ont été reproduites en très grand format sur les murs de deux salles du Mémorial.
«Energie de l’enfermement»
Des dizaines de planches contact de ce reportage commandé à l’époque par Paris Match sont également exposées aux côtés de magazines et autres extraits de journaux internationaux où elles ont été publiées à l’époque. Parmi elles : une célèbre vue de la voie ferrée enneigée qui acheminait les convois de déportés jusqu’aux camps de la mort. «L’un des premiers convois, c’est le jour de ma naissance le 6 juillet 1942. C’est un peu comme s’il avait été écrit que je devais faire ces photos», souligne le photographe, qui décrit un travail réalisé avec une «énergie de l’enfermement» qu’il ne s’explique toujours pas aujourd’hui.
L’un des premiers convois, c’est le jour de ma naissance. C’est un peu comme s’il avait été écrit que je devais faire ces photos
«Les vues que j’ai faites sont inouïes parce que d’abord, j’ai demandé du temps, j’ai survolé un peu autour… C’était très impressionnant car j’ai vu plein de petites fermes très modestes, des poules en liberté dans la neige», raconte le photographe qui a survolé le site à bord d’un hélicoptère soviétique venu de Varsovie. Au sol, il y avait, «la neige, le froid, les bouleaux»décharnés, mais ce qui l’a le plus frappé, dit-il, «c’est la parfaite organisation» de ce complexe en parfait état de conservation. Il peine à décrire cet univers concentrationnaire avec des mots et pose sa main sur un mur où ses clichés en gros plan de cristaux de gaz toxique Zyklon B (que les nazis utilisaient dans les chambres à gaz) ou de la porte d’un four crématoire entrouverte, parlent d’eux-mêmes.
«L’apocalypse» en images
Il évoque aussi avec émotion le film réalisé par les soldats de l’Armée rouge entrés à Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945 : «Tous des jeunes qui ont entre 18 et 20 ans, et filment à la Sergeï Eisenstein (NDLR : pionnier du cinéma soviétique)», sans doute le «film le plus émouvant» qu’il ait jamais vu. «Souvent, la mort, ça se sent. Là, ce n’est pas le cas. La seconde chose qui vient avec la mort, c’est sans doute la lumière. Et là, on voit l’apocalypse, la fin», ajoute le photographe.
Connu pour ses innombrables reportages en Afrique mais aussi pour ses documentaires sur le monde paysan, la vie d’un commissariat ou les urgences psychiatriques, Raymond Depardon conclut, songeur : «Je sais qu’il y a des résistants polonais qui ont fabriqué à l’époque un appareil photo pour raconter ce qui s’était passé. Pour tous ces gens qu’on a sacrifiés, c’est important de laisser une trace», ajoute-t-il, «content» que ses photos aient trouvé «leur place» au Mémorial de la Shoah.
«Auschwitz-Birkenau vu par Raymond Depardon» Jusqu’au 9 novembre. Mémorial de la Shoah – Paris.