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[Exposition] Politique et poétique de la décolonisation de l’art


Au Centre Pompidou-Metz, l’exposition «Après la fin. Cartes pour un autre avenir» remet en question la vision post-coloniale de l’art au sein d’un seul grand récit envoûtant.

La première exposition de l’année au Centre Pompidou-Metz est, semble-t-il, un rendez-vous impossible à manquer. Après «La Répétition» début 2023, qui allait puiser dans la collection de sa maison mère parisienne, et, un an plus tard, son imposante rétrospective autour de Jacques Lacan – qui incluait, entre autres chefs-d’œuvre de la peinture et des arts plastiques, L’Origine du monde de Gustave Courbet –, le musée messin a mis sur pied une nouvelle exposition qui se dévoile une fois de plus comme un manifeste. «Après la fin. Cartes pour un autre avenir» remet en question la conception occidentale de l’art (et, plus généralement, du monde) largement marquée par l’histoire coloniale.

À travers les œuvres de 40 artistes internationaux, de la fin du XVIIe siècle à nos jours – avec plusieurs travaux réalisés spécialement pour l’exposition –, le musée aborde le sujet «de façon poétique», s’affranchissant de toute chronologie, géographie ou thématique pour favoriser le dialogue entre différentes générations d’artistes au-delà de la Méditerranée et de l’Atlantique, et créant ainsi un seul grand récit. L’idée provient du commissaire Manuel Borja-Villel, qui avait déjà marqué le musée Reina-Sofia de Madrid, dont il fut le directeur de 2008 à 2023, de sa patte «transgressive et radicale». L’Espagnol, que la directrice du musée, Chiara Parisi, retient parmi les premiers «décolonisateurs de l’art» en Europe dans les années 1990, invite donc à se décentrer de la logique dominante pour épouser un autre mode de pensée.

«Tout est connecté»

On entre dans cette exposition comme on arrive à un carrefour : à la croisée des chemins – la scénographie, plutôt que tracer un sens de visite, encourage le visiteur à «créer sa propre chorégraphie» selon plusieurs parcours possibles, dit Manuel Borja-Villel –, des époques et des techniques artistiques. En guise d’entrée en matière, le triptyque Conquête du Mexique par Hernán Cortés (1698), des frères Miguel et Juan González, côtoie ainsi une œuvre vidéo du collectif zapatiste GIAP (Grupo de investigación en arte y política) documentant la «Marche du silence», une manifestation de 2012 visant à défendre l’autonomie des peuples indigènes du Mexique, et un poème en forme de réflexion sur l’histoire et la mémoire de l’artiste argentine Alejandra Riera. Ici, «tout est connecté», «imbriqué», insiste le commissaire d’exposition.

L’accent est mis notamment sur les cultures des diasporas caribéennes et maghrébines, renforçant par là même l’«importance des communautés» – quand la pensée coloniale considérait qu’il fallait «remplir un vide». C’est le même point de vue qui justifie l’idée d’une exposition basée sur la narration (un «élément fondamental» des cultures en question) et imaginée «comme une constellation de gestes et de situations».

La performance vidéo de l’artiste brésilienne Aline Motta, dont l’histoire familiale est liée à l’esclavage et à l’oubli qui lui a succédé, peut alors tout aussi bien nouer des liens avec l’installation photographique et sonore Al Amakine du Marocain Abdessamad El Montassir, qui vise à sauvegarder des «archives immatérielles» du Sahara occidental (paysages, flore, mythes…), qu’avec la fresque Péyi en retour, commandée par le Centre Pompidou-Metz auprès de l’artiste guadeloupéen Olivier Marboeuf. Cette dernière se révèle être l’une des œuvres majeures de l’exposition, par la taille comme par ce qu’elle représente : si la carte géographique «a été un élément de domination» au cours de l’histoire, l’artiste a «créé la sienne» pour se «réapproprier» l’histoire de la région, entre récit de la souffrance et célébration héroïque de l’«expérience caraïbe».

«Modernité différente»

À l’intérieur de l’exposition, les mythes et traditions questionnent aussi leurs représentations dans le monde occidental. C’est l’idée derrière les dessins de la plasticienne américaine Helen Gallagher, des «formes en transformation constante» selon qu’on les regarde au recto ou au verso de la feuille, ou du Temple d’Oxalá, une installation de Rubem Valentim composée de vingt sculptures invoquant les divinités afro-brésiliennes, qui dialogue à son tour avec le mélange de spiritualité et de problématiques sociales des collographies de l’artiste cubaine Belkis Ayón.

Le titre de l’exposition amène donc à réfléchir à une «modernité différente», aux antipodes du fameux TINA (There is no alternative) prôné par Margaret Thatcher. À côté de l’ultralibéralisme tout-puissant, on constate néanmoins que la décolonisation de l’art et des esprits a déjà commencé. Dans ce combat, le pouvoir de l’imaginaire a été essentiel : «Les artistes que nous présentons ici maintiennent vivantes la culture, la mémoire, l’histoire» d’autres mondes au-delà du nôtre face à des mythes occidentaux en crise, dit Manuel Borja-Villel. Sans oublier de regarder frontalement les «traces» que laissent ces derniers, par exemple à travers la série Occupation de la photographe palestinienne Ahlam Shibli, dont les clichés de la ville d’Hébron témoignent d’une architecture marquée par l’occupation israélienne.

«Après la fin. Cartes
pour un autre avenir»
Jusqu’au 1er septembre.
Centre Pompidou-Metz.