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[Exposition] Obey, éternel indiscipliné


Shepard Fairey dénonce la réutilisation par l’extrême droite française de sa Marianne et encourage les Français à se «réveiller» et à «aller voter».

Star du street art et du «streetwear», Shepard Fairey, alias Obey, expose à Paris une collection d’œuvres engagées, dans un contexte politique en passe d’être «désastreux».

Il avait marqué l’époque grâce à l’affiche de campagne de Barack Obama et voit aujourd’hui une de ses œuvres reprises par l’extrême droite en France. Une «absurdité», dénonce la star du street art Shepard Fairey, alias Obey, plus activiste que jamais. Lutte contre le racisme, défense du climat, dénonciation des impérialismes… L’Américain de 54 ans est de tous les combats via sa marque de vêtements et ses œuvres déclinées sur les murs du monde entier, en posters, en toiles ou sur des badges.

Quelle ne fut pas sa surprise en voyant sa Marianne trônant dans le bureau de Jordan Bardella, tête de peloton du Rassemblement national (RN, extrême droite) en France, dans une vidéo publiée avant un scrutin législatif sous très haute tension. «C’est totalement absurde, c’est tellement ridicule que ça en est difficile à croire», s’emporte l’artiste, en marge du lancement de l’exposition «Swan Song» à la galerie Itinerrance à Paris, qui le représente.

Cette œuvre, une Marianne sur fond bleu-blanc-rouge, a déjà une longue histoire : elle a été créée en geste de solidarité après les attaques du 13 novembre 2015. Avant d’être sérigraphiée, c’était d’abord une fresque dans le 13e arrondissement de Paris, quartier riche en peintures murales. Une reproduction a atterri dans le bureau d’Emmanuel Macron et a été vue par des millions de téléspectateurs lors d’une intervention du président à l’automne 2017.

«Tragédie collective»

Obey avait dû se défendre de tout «parti pris politique», se disant «du côté des gens qui s’opposent aux injustices» quelques années plus tard. «Mon travail a (déjà) été détourné à des fins politiques mais, généralement, il l’est d’une manière qui a du sens», dit celui qui détourne lui-même des slogans et s’inspire du graphisme de propagande. Shepard Fairey emprunte par ailleurs son nom d’artiste et une partie de son univers graphique au film d’anticipation They Live (John Carpenter, 1988), dans lequel des lunettes spéciales dévoilent le monde tel qu’il est réellement, exposant des messages de propagande capitaliste qui se cachent partout : «Obey», «Money is your God», «Consume»…

En trente ans, Obey revendique 135 fresques murales et… 18 arrestations

«Mais l’audace de prendre une image qui parle de paix et de compassion après un attentat terroriste et d’adopter également le slogan français – qui est un beau slogan, « Liberté, égalité, fraternité“ – me dépasse», confie-t-il, à propos de la vidéo du patron du RN. Pas question pour autant d’engager des poursuites. Une attitude qu’il adopterait aussi si Donald Trump utilisait une de ses œuvres. Le milliardaire «est devenu ce qu’il est devenu parce qu’on lui a accordé trop d’attention. Il a la mentalité d’un nourrisson en colère», s’agace Shepard Fairey. «Si je devais intenter une action en justice contre Trump, s’il utilisait une de mes images, il transformerait cela en une victoire d’une manière ou d’une autre, en disant qu’il est persécuté.»

Dans un contexte morose, avec une possible réélection du candidat républicain qu’il jugerait «désastreuse», Shepard Fairey croit plus que jamais en l’art et espère un sursaut citoyen pour ne pas entendre le fameux «chant du cygne» qui donne son titre à l’exposition. Les œuvres qui la composent «abordent les multiples menaces actuelles, dans l’espoir que l’art suscite un appel collectif suffisamment puissant pour inspirer un changement de cap» dans «notre tragédie collective» résume-t-il. Un sursaut qui passe, donc, par le fait d’aller voter. «Si vous êtes citoyen français et que, par le passé, vous n’avez pas voté parce que vous pensiez que cela n’avait pas d’importance, cela compte maintenant. Alors, réveillez-vous et allez voter», lance-t-il.

«Rester connecté»

Issu de la scène punk rock et de l’univers du skate, Shepard Fairey a percé dans le street art avec ses autocollants barrés du mot «Obey» et, surtout, car il a prolongé son travail d’artiste militant dans la mode, avec une marque de «streetwear» largement reconnue. À la manière d’un Keith Haring (1958-1990), qui vendait ses œuvres très cher, réalisait des graffitis dans le métro new-yorkais et imprimait des posters pour dénoncer l’homophobie ou le nucléaire, Obey continue de réaliser des peintures murales là où il passe. Il a d’ailleurs laissé des traces de son dernier passage à Paris avec trois fresques.

En trente ans de carrière, Shepard Fairey revendique 135 fresques murales, des centaines d’œuvres illégales et… 18 arrestations. Une manière de continuer à travailler dans la rue et de «rester connecté au plus de gens possible», tout comme sur les réseaux sociaux, où il compte plus d’un million d’abonnés.

Jusqu’au 15 juillet.
Galerie Itinerrance – Paris.