La Lorraine industrielle comme on ne l’a jamais vue : c’est ce que Nicolas Dohr propose de découvrir dans l’exposition photo itinérante «Cathédrales industrielles».
La fonderie Saint Gobain de Pont-à-Mousson, la soudière Solvay de Dombasle-sur-Meurthe, la centrale GazelEnergie de Carling ou l’aciérie Saarstahl de Hayange sont autant de lieux appartenant à la grande histoire de la Lorraine ouvrière, et toujours en activité à l’ère post-industrielle.
À travers le projet photographique «Cathédrales industrielles», Nicolas Dohr veut faire passer un message clair : on a beau considérer ces usines comme des vestiges du passé, «elles sont bien vivantes». Loin d’être des pièces de musée, elles se dévoilent, dans l’objectif du photographe nancéien, sous leur plus flamboyant, bizarre, inhabituel ou majestueux aspect, dans une exposition itinérante inaugurée hier dans le chef-lieu de la Meurthe-et-Moselle, Nancy, avant de poursuivre sa tournée courant 2025 dans toute la Lorraine.
Passionné de photographie «depuis gamin», et pris d’un «besoin de changer d’air» après dix ans dans l’informatique, Nicolas Dohr en a fait son métier «il y a une quinzaine d’années», en tant que photographe d’entreprise, un créneau alors encore largement concentré à Paris. «Rapidement, je me suis fait une clientèle de grands groupes» tels que Sanofi, Total ou Vinci.
Des premières références qui ont éveillé l’attention et qui font qu’aujourd’hui, Nicolas Dohr a «eu affaire à tous types d’entreprises : des coopératives agricoles, des universités, des banques, des assurances…» Et, donc, des industries, rapidement devenues son terrain de jeu préféré.
Pour le photographe, s’il y a une différence entre la photo «corpo» et la photographie d’art, ce n’est pas sur le cliché final qu’elle se vérifie : «J’ai tendance à considérer qu’en photo, le sujet n’a aucune importance. Ce qui en a, c’est la façon dont on le traite», explique-t-il. Révélateur de la beauté des sujets ordinaires liés au monde du travail – chantiers, constructions, gestes techniques des ouvriers –, Nicolas Dohr applique son credo, même aux commandes les plus «orientées en termes de communication».
«Rien n’est moins sexy qu’une pelleteuse», assure celui qui a souvent retrouvé ce genre de véhicules devant son appareil, en France comme à l’étranger. Et de souligner que les engins de chantier méritent «le même soin dans la composition graphique que n’importe quel autre sujet d’art».
Le fantasme
des fonderies
Lorrain pur jus, Nicolas Dohr n’avait pourtant «aucune affinité avec le milieu industriel avant d’être photographe» : fils d’artistes, il retient que les histoires d’un grand-père ayant travaillé en usine, dignes de «scènes de western», ne lui avaient même «jamais donné envie» de s’y intéresser.
Mais après avoir passé plusieurs années de métier, à photographier le monde de l’industrie et ses employés – et d’avoir ainsi pu être témoin de «l’aspect sécuritaire très important aujourd’hui» dans cet environnement de travail – le Nancéien a développé un faible pour ces «bâtiments colossaux» qu’il veut maintenant montrer «différemment» en «cré(ant) des ambiances, des univers».
C’est à partir d’une commande comme les autres que le professionnel a eu l’idée d’un projet purement artistique autour du milieu industriel. En l’occurrence, la centrale thermique Émile-Huchet, à Carling, alimentée au charbon, pour laquelle il devait documenter la «pose de batteries servant à stocker l’énergie excédentaire».
À la faveur d’un léger retard, Nicolas Dohr, accompagné par un responsable de la sécurité, en profite pour visiter ce lieu «en phase de démantèlement partiel», prenant au passage quelques clichés «extraordinaires» de «cette vieille industrie lourde». «Je trouvais dommage de ne rien pouvoir en faire; c’est là que j’ai eu l’idée d’en faire un livre.»
Pour se lancer dans un tel projet, mieux vaut avoir un carnet d’adresses bien rempli, convient-il. Lui est allé piocher dans le sien, en contactant «des clients actifs» et renouant le contact avec d’«anciens clients». «En appelant une quinzaine d’entreprises, il allait bien y en avoir une ou deux qui allaient me répondre positivement. À ma grande surprise, elles ont toutes dit oui !», retrace-t-il dans un rire.
L’une des plus belles motivations du projet a été, par ailleurs, la possibilité pour Nicolas Dohr de photographier des lieux encore inédits dans son travail, comme l’usine Novacarb, près de Nancy, ou les fonderies Saint-Gobain de Pont-à-Mousson, un lieu qu’il «rêvai(t) de photographier depuis quinze ans».
«Ouvrir l’imaginaire»
D’une «cathédrale industrielle» à l’autre, Nicolas Dohr a fini par privilégier l’idée d’une exposition plutôt que son envie de livre. La salle de la Chambre de commerce et d’industrie de Nancy ,où ses photos sont actuellement exposées, permet une perspective «immersive» et l’impression, pour le visiteur, de se trouver devant un «écran de cinéma».
Et pour cause : l’artiste a travaillé exclusivement au grand angle – «voire au très grand angle», précise-t-il –, permettant à l’image regorgeant de détails une «profondeur de champ énorme», une netteté «parfaite» et de légères zones de flou sur les bords du cadre. Le but, dit-il, est de «jouer avec la logique de fonctionnement de l’œil humain et l’inconscient du cerveau», en faisant glisser le regard vers les zones qu’il souhaite souligner.
Un résultat rendu possible grâce aux tirages, non pas sur le traditionnel papier photographique, mais sur des plaques de plexiglas, qui rendent «une image hyper contrastée» et «des couleurs éclatantes, vives et profondes».
Entre le labyrinthe d’escaliers de la papeterie Norske Skog, l’impressionnante vue des tuyaux de la centrale TotalEnergies ou le surcadrage de grilles qui donne à l’usine Mersen, à Pagny-sur-Moselle, un faux air de prison, nombre d’images capturées par Nicolas Dohr collent à la rétine. Au-delà de leur identité forte, toutes tirent leur puissance du «fil conducteur» qui caractérise cette exposition : l’absence de descriptif autre que les noms des usines et leur localisation.
Un moyen, selon le photographe, d’«ouvrir l’imaginaire» du public, invité à interpréter les images «selon le vécu et l’expérience de chacun». «L’intérêt de l’art, c’est de susciter des émotions» : voilà qui explique aussi pourquoi Nicolas Dohr, naturellement attiré par «les trucs rouillés», tandis que «les entreprises s’attendaient à des photos de brochure, très proprettes», a su «négocier» avec ces dernières la valeur artistique des décors les plus «grunges».
Comme pour souligner le titre de l’exposition, «envisagé tôt» par l’auteur du cliché mais sur lequel il a longtemps douté, une vue quasi spirituelle du laminoir de l’aciérie Saarstahl. Ce bâtiment immense, qui produit «des rails de 110 mètres de long», a valeur de symbole, tant pour sa taille que pour son histoire (il a ouvert en 1892) et son lieu d’implantation (le nom de Hayange reste lié à la grande famille d’industriels Wendel).
Et si la totalité des photos de l’exposition – tout de même réunies dans un livre de 250 pages, tiré à 350 exemplaires – forment un éblouissant hommage à la Lorraine comme terre d’industrie vivante, une seule des quarante-cinq images a été prise hors du Grand Est – dans une autre aciérie Saarstahl, à Valenciennes, dans le nord de la France. Un détail pour le visiteur, mais qui trahit l’envie de Nicolas Dohr de «pouvoir étendre à l’avenir ce projet à un territoire plus grand».
Dont le Luxembourg et son sud industriel? L’un des clichés phares de la carrière du photographe, pris autour des hauts-fourneaux d’Esch-Belval, suffit à donner un début de réponse. Quoique pour ce projet principalement financé par des mécènes, «aller plus loin signifie aussi ajuster le modèle économique». Avis aux potentiels partenaires.
Jusqu’au 10 janvier 2025. Chambre de commerce et d’industrie – Nancy.
En tournée
dans le Grand Est
Du 30 janvier au 1er février 2025
Salon WorldSkills
Parc des Expositions – Metz.
Du 2 au 31 mai 2025
Nancy Thermal – Nancy.
Du 2 juin au 30 juillet 2025
Palais abbatial – Senones (Vosges).
Du 2 août au 30 septembre 2025
Laboratoire de l’Andra – Bure (Vosges).