Moins de trois mois après sa disparition, le photographe Michel Medinger est à l’honneur à la Villa Vauban avec «Vanitas», une collection de ses natures mortes mises en scène avec un humour mordant et une poésie rare.
Sorcier de la photographie, auteur d’une œuvre à part, Michel Medinger nous a quittés le 14 janvier dernier, à l’âge de 83 ans. Non sans avoir fait une dernière fois l’objet d’une ultime rétrospective, aux Rencontres d’Arles, à l’été 2024 – affaibli par la maladie, l’artiste, qui avait à Arles ses habitudes, n’avait pu s’y rendre. Intitulée «Michel Medinger. L’ordre des choses», cette exposition retraçait quatre décennies de travail, comme un monumental cabinet de curiosités où un certain nombre de ses «tableaux photographiques» étaient par ailleurs montrés pour la première fois. Le titre de l’exposition fait autorité : de «L’ordre des choses» découlera courant 2025 une exposition au CNA, déjà précédée par «Vanitas», autre plongée au cœur de ses natures mortes à voir actuellement à la Villa Vauban dans le cadre du Mois européen de la photographie (EMOP).
Faisant ainsi écho et suite à l’expo d’Arles, l’exposition «Vanitas» a été rendue possible grâce à la «collaboration très fructueuse avec Michel Medinger» et à la «confiance de ses filles», Isabelle et Véronique, qui ont ouvert les portes de la maison de l’artiste, a expliqué la présidente de Lët’z Arles, Florence Reckinger-Taddeï. «Michel Medinger aimait exposer souvent les mêmes photos, poursuit-elle. En nous autorisant à puiser dans les archives, on y a découvert des pépites, dont certaines que l’on a très peu – sinon jamais – vues dans une exposition.» La Villa Vauban semblait l’endroit tout désigné pour y présenter cette collection d’une vingtaine de ses «vanités», selon le commissaire de l’exposition, Paul Di Felice, qui dit avoir tenu à «intégrer» celle-ci «dans le cadre du musée, en tenant compte des inspirations picturales (de l’artiste) et des œuvres de la collection».
«Entre baroque et surréalisme»
Selon que l’on accède à l’exposition, coincée dans une petite salle au sous-sol du musée au milieu des salles de la collection de peintures classiques, par l’une ou l’autre entrée, c’est une Vanité à la chaise bavaroise, réalisée par le peintre français d’origine allemande Ferdinand Heilbuth (1826-1889), qui accueille ou donne congé au visiteur. Car, fidèle à l’esprit espiègle qui traverse l’œuvre de Michel Medinger, dans «Vanitas», entre papiers peints, transferts Polaroid et tirages argentiques à échelles différentes, tout est une question de mise en scène. L’inspiration complète le corpus d’œuvres, sous l’air faussement sérieux de l’artiste, trahi par ses yeux rieurs, dans un Autoportrait en faucheuse, accroché au parfait opposé du tableau du XIXe dans l’espace d’exposition – donc, lui aussi, au début ou à la fin de la visite. Entre les clichés de Medinger et les «vanités» de la peinture néerlandaise et flamande – des natures mortes représentant des objets qui symbolisent la fragilité de l’existence –, il y a plus d’un renvoi : les crânes, humains ou animaux, les fruits passés et fleurs fanées, les plumes… Maître des objets, metteur en scène et alchimiste tout à la fois, Michel Medinger est de tous temps et finalement d’aucun, s’amusant avec l’hybridation des époques, des conceptions et des mouvements artistiques, «entre baroque et surréalisme», note Paul Di Felice.
C’est en effet un humour décalé et omniprésent que l’on ressent face aux mises en scène soigneusement exécutées puis immortalisées par l’artiste. Comme si la notion de composition (artistique) était la seule à pouvoir donner du sens à la notion de décomposition (la nature morte). Dans les mots comme dans les images, Medinger joue constamment avec le trompe-l’œil. Ici, les feuilles séchées dans les photos passées au transfert d’émulsion ressemblent à des morceaux de viande, donnant lieu à d’étranges bouquets; là, ses Poires avec des ailes ont l’air de curieux oiseaux; là encore, les poupées entières ou en morceaux qui habitent certaines de ses natures mortes renforcent la fragilité humaine par sa présence, aussi bizarre soit-elle. Et puis, ses trompe-l’œil, il les prend parfois au pied de la lettre, comme dans l’Hommage à Rackham le Rouge (un crâne dont l' »œil » droit est caché par un bandeau) ou Un œil sur Hypocampus (tout simplement : un œil et un hippocampe).
Sablier à l’horizontale
Ce qui frappe le plus ici, c’est la poésie dont fait preuve l’artiste, à partir d’objets qui, somme toute, brillent par leur banalité. «Il avait un don pour réarranger les symboles du quotidien», assurait Paul Di Felice, et c’est bien tout ce que nécessitent ses «vanités». Même si, là aussi, elle n’est pas toujours à prendre au sérieux – à l’instar de cette aubergine tombante, tenue par une ficelle, une image aux évocations multiples mais que l’on ramènera forcément à son interprétation phallique… Idem pour ce faux portrait d’un mannequin féminin en plastique paré d’une fourrure et surmonté d’un crâne d’animal, dont la finesse du clair-obscur renvoie aux célèbres portraits de vedettes du studio parisien Harcourt – pris en 2020, il s’agit là du cliché le plus récent de l’exposition, qui traverse plus de 30 ans de carrière. Chez Michel Medinger, plutôt que le diable, c’est le plaisantin qui se cache dans les détails : sa meilleure expression, qui rejoint sa poésie, est à trouver tout en bas d’un cliché remontant à 1991 : un sablier à l’horizontale, le temps partagé pareillement de chaque côté, fixé pour toujours. Son esthétique et sa symbolique sont formels : Michel Medinger est éternel.
Jusqu’au 15 juin.
Villa Vauban – Luxembourg.