L’artiste français met à mal la représentation photographique classique en jouant avec l’effacement. Avec lui, l’image devient une matière picturale qu’il manie pour questionner le rapport au temps et à la mémoire.
Il y a une bonne année, on a pu le voir au Jeu de Paume à Paris, lieu du premier festival Fata Morgana, qui se proposait alors de mettre en lumière les multiples dimensions de l’image, sur le fond comme sur la forme. Ou plus particulièrement, qui entendait montrer que le visible est une conception bien plus instable et ambiguë qu’il n’y paraît. Raphaël Lecoquierre y avait sa place, comme il l’a d’ailleurs au Casino pour sa toute première exposition d’envergure dans une institution qui, depuis ses débuts, défend la photographie comme médium d’art contemporain. Surtout quand celle-ci choisit la radicalité pour s’exprimer.
Mon travail a toujours été photographique, sans que j’utilise un appareil
Avec ce natif de Saint-Cloud exilé à Bruxelles, on est clairement dans le domaine, et pour le coup, il faut faire preuve d’imagination devant ses sculptures, ses colonnes et ses fresques de stuc (faux marbre) pour deviner qu’elles résultent d’un prélèvement de pigments opéré par ses soins. «Mon travail a toujours été photographique, sans que j’utilise un appareil!», souligne-t-il dans un large sourire, avant de sortir son téléphone pour détailler la manœuvre. Ainsi, sur l’écran, défilent de vieux clichés jaunis après oxydation. Dessus, les visages, les paysages, les réunions de famille ne sont plus que de lointains échos fanés, datant d’une ère presque révolue.
«Instantanés du passé»
Raphaël Lecoquierre raconte avoir mis au point ce procédé après avoir découvert un ensemble de photos échouées sur une plage de la mer du Nord. Abîmées par les éléments, ces images sur le point de disparaître l’ont incité à entreprendre une démarche expérimentale, calée sur cette notion d’effacement. De ces «instantanés du passé», il récupère les encres, pigments de couleur qui deviennent une matière incorporée ensuite à un stuc vénitien, «enduit ancestral» qui servait à la réalisation des fresques et autres palais à la Renaissance. «Une technique artisanale» que l’artiste réutilise, dans une échelle certes plus contenue.
Avec cette attaque à revers (habituellement, en photographie, on développe plus qu’on n’extrait), ses images se renouvellent à la surface de compositions à l’apparence nébuleuse, tels des blocs de souvenirs aux contours troubles et indéfinis. La teinte blanche fait songer à des nuages. Par l’entremise de cette matière calcaire qu’il étale «a fresco» dans un geste répétitif, quasi mécanique – l’artiste fait plutôt référence à la géologie. D’où le titre «Tills», qui désigne des débris de roches sédimentaires, entraînés puis abandonnés par les glaciers lors de leur passage. Ses tableaux et sculptures (cylindres, diamants…) sont donc à voir comme une «métaphore» du temps qui passe. D’ailleurs, promet le musée, ses œuvres vont évoluer et changer d’aspect de manière imperceptible pendant la durée de l’exposition, comme une sorte de traînée invisible.
Fresque «immersive»
Raphaël Lecoquierre, en «mélangeant des choses du passé pour les faire revenir au présent», démontre ainsi son intérêt pour le pouvoir de persuasion des images, les désirs qu’elles peuvent susciter et le rapport qu’elles entretiennent avec la mémoire et avec le temps. Si l’identité «repensée», thème central du Mois européen de la photographie auquel son exposition personnelle est rattachée, n’est pas perceptible, son travail revêt par contre une dimension politique, comme il le précise : «Aujourd’hui, l’environnement est surchargé visuellement. Il y a une forme d’aliénation générée par ce flux incessant. Il a tendance à nous assommer.»
D’où la nécessité, face aux réseaux sociaux et à leurs informations arbitraires et aliénantes, de prendre le «contrepied» : soit faire dans l’économie de moyens en explorant le potentiel évocateur et poétique de formes sobres et épurées. Sa fresque «immersive», aux motifs toujours abstraits et créée in situ, en est une bonne illustration : par son minimalisme et son blanc qui aveugle, elle invite le public à une contemplation passive. Mieux, à une «méditation», poursuit Raphaël Lecoquierre, persuadé que la musique entêtante, quasi répétitive, concoctée par Lou Drago, peut y parvenir. À l’instar de la «Dream House» new-yorkaise, voilà une invitation à suspendre le temps et à profiter du présent qui ne se refuse pas.
«Tills»
Casino – Luxembourg.
Jusqu’au 9 septembre.
Dans le cadre du Mois
européen de la photographie.
Raphael je te souhaite le plus grand succès pour ta démarche picturale et ton expo.
Bertrand Bataille.