Les trois frères Le Nain, et leurs zones d’ombre, s’exposent en grand au musée du Louvre-Lens.
Après les expositions d’envergure internationale dédiées à Rubens en 2013 et Charles Le Brun en 2016, le musée du Louvre-Lens renoue avec la grande peinture du XVIIe siècle. «Cette exceptionnelle rétrospective consacrée aux frères Le Nain est la première au monde depuis 40 ans!», s’enthousiasme ainsi la directrice du musée, Marie Lavandier.
Sur les 75 tableaux encore recensés des trois frères – Louis, Antoine et Mathieu –, alors qu’ils en ont probablement peint plus d’un millier, le musée lensois réussit l’exploit d’en réunir 55, dont plusieurs inédits. Sur près de 1 700 m2, «un espace inenvisageable au Louvre» parisien, les commissaires de l’exposition entendent «rouvrir le dossier» de ces artistes «si fascinants mais aussi si mystérieux».
«On a voulu présenter les œuvres des Le Nain en les regroupant stylistiquement, selon les éléments que l’on propose d’attribuer à Louis, Antoine et Mathieu. Mais il est aujourd’hui encore arbitraire d’attribuer un prénom à un tableau des Le Nain, un « Louis » pouvant se révéler être un « Antoine » et inversement. Ces groupes dessinent cependant de véritables personnalités artistiques que l’exposition se propose de soumettre au regard et au jugement du public», précise Nicolas Milovanovic, commissaire de l’exposition.
Ainsi, pour la première fois, une distinction s’opère parmi les œuvres entre les trois mains à travers plusieurs sections thématiques : «Louis : un génie méconnu?», «Antoine, portraitiste et miniaturiste» ou encore «Mathieu, l’ambitieux». «Plus le temps passe et plus les différences de sensibilité, de génie artistique, sont apparues entre les trois. Mais on ne peut pas imaginer non plus qu’ils peignaient chacun dans leur coin : sur certains tableaux, il y a clairement deux mains avec différentes étapes de création», poursuit Nicolas Milovanovic.
Prémices réalistes
La Tabagie, chef-d’œuvre attribué d’abord à Louis, restera en réalité inachevé avant d’être terminé par Mathieu qui aurait transformé ce portrait collectif en une scène de genre afin de le vendre plus facilement, y rajoutant notamment des fumeurs. L’exposition entend également questionner la signification des nombreuses scènes paysannes peintes par les frères. Contrairement à l’ancienne interprétation essentiellement religieuse privilégiée par les spécialistes américains, les commissaires de l’exposition favorisent une lecture plus sociale, éloignée du genre satirique et grotesque, héritage du maître de l’École flamande Pieter Bruegel.
«Les Le Nain révolutionnent ici le genre en peignant des scènes plus dramatiques pour être en empathie avec le spectateur. Des œuvres dont on ne peut dénier le caractère réaliste…», explique encore le commissaire devant Famille de paysans ou Repas de paysans. Des tableaux qui serviront de fil d’Ariane près de deux siècles plus tard, après avoir été redécouverts par le critique d’art Champfleury, pour le courant réaliste incarné par Gustave Courbet qui s’inspirera des mêmes thèmes de la vie quotidienne.
L’exposition se conclut sur un dernier mystère : quid des «suiveurs»? Pendant longtemps, plusieurs tableaux, notamment L’Académie ou La Crucifixion ont été attribués, à tort, aux Le Nain dont la cote sur le marché parisien devint plus élevée dans les années 1640-1650. Si leurs véritables auteurs restent encore parfois inconnus, les commissaires avancent des hypothèses en les juxtaposant à ceux de maîtres hollandais de la même époque pour «ouvrir des pistes». «Le questionnement stylistique est omniprésent tout au long de la visite : d’abord est-ce un Le Nain ou non, puis parmi les trois, lequel des frères est-ce? Les mystères restent, presque entiers», sourit Nicolas Milovanovic.
Jusqu’au 26 juin.