Dalí, Magritte, De Chirico, Ernst, Dora Maar… Des chefs-d’œuvre à foison sont présentés au Centre Pompidou, à Paris, à l’occasion des 100 ans du surréalisme.
Quand Pompidou-Metz dit au revoir à son exceptionnelle exposition consacrée à André Masson, pilier du surréalisme, c’est le Centre Pompidou à Paris qui expose environ 500 peintures, sculptures, dessins, textes, films et documents, dont de nombreux prêts exceptionnels, retraçant l’histoire du mouvement sur 2 200 m². Des œuvres et des objets qui révèlent combien ce courant artistique, né en 1924 autour de poètes dont André Breton et qui a essaimé dans le monde entier, a été visionnaire et reste contemporain dans sa volonté de changer le rapport de l’humain à la nature.
Exposées habituellement à Madrid, San Francisco, Stockholm ou New York, Le Grand Masturbateur (1929) de Salvador Dalí, Les Valeurs personnelles (1952) et L’Empire des lumières (1954) de René Magritte, Le Cerveau de l’enfant (1914) et Chant d’amour (1914) de Giorgio de Chirico, La Grande Forêt (1925) de Max Ernst et le Chien aboyant à la lune (1926) de Joan Miró sont quelques-unes des œuvres les plus emblématiques présentées.
La scénographie joue avec l’illusion d’optique, chère aux surréalistes, et le parcours prend la forme d’un labyrinthe. Il introduit le visiteur dans une immense pièce circulaire au centre de laquelle est visible le manuscrit original du Manifeste du surréalisme d’André Breton, publié en 1924, tandis qu’une projection audiovisuelle immersive éclaire sa genèse et sa philosophie.
«Réinventer le rapport au monde»
Chronologique et thématique, le parcours suit des figures littéraires (Lautréamont, Lewis Carroll, Sade…), des mythologies et thèmes qui ont nourri le mouvement (l’artiste-médium, la pierre philosophale, la forêt, la nuit, l’érotisme…). «Davantage qu’un dogme esthétique, qu’un formalisme, le surréalisme est une philosophie qui va rassembler pendant plus de 40 ans des hommes et des femmes qui croient à un autre rapport au monde», résume Marie Sarré, cocommissaire avec Didier Ottinger, directeur adjoint du musée national d’Art moderne.
Plus de vingt ans après la dernière exposition qui lui a été consacrée au Centre Pompidou (en 2002), «on a voulu montrer que ce mouvement a non seulement un point de vue sur le cours de l’histoire, ses moments critiques – guerres mondiales, guerre d’Espagne, colonialisme… – et les mouvements politiques qui déchirent l’Europe, mais pense aussi une autre relation entre l’Homme et le cosmos», ajoute Didier Ottinger. «Son message est l’un des plus contemporains qu’on puisse imaginer», ajoute-t-il, en évoquant aussi la reconnaissance des femmes artistes par les surréalistes et leur engagement politique.
«Ce sont des jeunes gens qui ont 20 ans et qui voient les ravages du progrès, des avions qui finissent par lâcher des bombes. Ils vont le remettre en cause au nom d’un sentiment réactivé de la nature, un message très actuel», souligne-t-il. «La plupart ont connu l’expérience des tranchées et vont remettre en question les valeurs du monde moderne occidental, du siècle des Lumières – le rationalisme, la raison, le progrès, l’industrialisation –, en ayant l’intuition qu’il y a une urgence à réinventer le rapport au monde, à l’autre et à la nature», ajoute Marie Sarré.
Place aux femmes
L’exposition rend également compte de «la propagation internationale du surréalisme dès les années 1930 jusqu’en Australie et des traductions des principaux textes d’Aragon et de Breton jusqu’en Chine», selon Didier Ottinger. Sont présentées, entre autres, des œuvres du Japonais Tatsuo Ikeda, du Danois Wilhelm Freddie ou du Mexicain Rufino Tamayo.
L’accent est mis sur l’Amérique du Sud et sur les femmes au sein du «mouvement de l’art moderne qui leur a fait la plus grande place», d’après Marie Sarré, dont la Mexicaine Remedios Varo, la Britannique Ithell Colquhoun, la Franco-Tchèque Toyen, la Française Dora Maar ou l’Américaine Dorothea Tanning. «Encore minoritaires dans les années 1920, à la fondation du mouvement, elles sont apparues très rapidement essentielles et y ont trouvé un terrain d’émancipation. Leur implication va aller crescendo», précise la commissaire.
En 1969, la dissolution officielle du surréalisme n’a pas marqué la fin de son influence. Il continue d’inspirer les biennales d’art contemporain, le cinéma, la mode ou la bande dessinée. L’exposition «Surréalisme», déjà montrée sous une forme moins complète à Bruxelles jusqu’en juillet, doit aller ensuite à Madrid, Hambourg, puis Philadelphie d’ici à 2026.
Jusqu’au 13 janvier 2025. Centre Pompidou – Paris.
Le chaos d’un mouvement littéraire
À côté de la grande exposition sur l’art du surréalisme au Centre Pompidou, les éditions Gallimard en proposent une plus petite sur le mouvement littéraire à l’histoire chaotique, jalonnée de tensions… voire d’insultes. «Des surréalistes à la NRF : des livres, des rêves et des querelles (1919-1928)», à la Galerie Gallimard à Paris, ouvre les archives de la maison d’édition pour éclairer dix ans d’avant-garde et de frictions.
Le Manifeste du surréalisme, écrit par André Breton, est paru il y a 100 ans, en 1924, et a échappé à Gallimard. Il reparaît, avec d’autres textes de l’auteur, dans la Bibliothèque de la Pléiade le 19 septembre. Un exemplaire de la première édition, aux éditions du Sagittaire et prêté par la bibliothèque Doucet, est exposé. «L’hypothèse que j’ai, mais ce n’est qu’une hypothèse, est que le Manifeste était dans la préface de Poisson soluble, un livre de poésie. Or Gallimard publiait peu de poésie», explique Alban Cerisier, l’un des commissaires de cette exposition.
La Nouvelle Revue Française (NRF) va être l’un des premiers lieux d’expression de ce mouvement, qu’accueillent favorablement ses dirigeants, André Gide et Jacques Rivière. Cela ne va pas sans provoquer des tensions : Paul Claudel, autre auteur de Gallimard, catholique et conservateur, se désole, dans une lettre exposée, de la place que prend «toute la voyouterie surréaliste», mouvement d’après lui «pédérastique».
Les insultes fusent puisque André Breton, le théoricien du mouvement, écrit à l’éditeur de Gallimard, Jean Paulhan : «Pourriture, vache, enculé, enculé d’espèce française, mouchard, con». La rivalité entre Breton et Louis Aragon, auteur d’un Traité du style publié en 1928 chez Gallimard, et qui est une réponse au premier, traverse aussi l’exposition. Cet essai virulent se termine par : «Je conchie l’armée française dans sa totalité.»
Mais il y a plus positif. Ainsi, quand Albert Camus, en 1943, livre une note de lecture très favorable à René Char, ou quand Paul Éluard écrit à Gaston Gallimard en 1926 pour proposer un changement de titre à un recueil de poésie, en faveur du très beau Capitale de la douleur.
Jusqu’au 12 octobre. Galerie Gallimard – Paris.