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Exposition : le « Liberace » turc


En Turquie, l’étonnant succès d’une exposition sur l’icône gay Zeki Muren.

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L’exposition, prévue jusqu’au 15 janvier, a déjà été prolongée deux fois et a attiré en 40 jours plus de 42 000 visiteurs. (Photo : AFP)

Acteur populaire, musicien prolifique et interprète à succès, Zeki Muren est volontiers décrit comme le « Liberace » turc, du nom du flamboyant artiste américain mort en 1987. Dans un pays conservateur et volontiers homophobe, il est considéré, à sa disparition en 1996 comme un trésor national, célébré pour ses adaptations excentriques de chansons sentimentales d’inspiration ottomane.

S’il n’a jamais publiquement confirmé ni démenti son homosexualité, le chanteur est toujours considéré comme un héros par la communauté gay de Turquie. Baptisée du titre d’un de ses tubes, Me voici, Zeki Muren, l’exposition à Istanbul lui rend hommage au travers d’une collection inédite de photographies, de lettres et d’accessoires clinquants. À la surprise de ses promoteurs, elle a déjà attiré en 40 jours plus de 42 000 visiteurs, un record pour le centre culturel Yapi Kredi, un espace privé appartenant à une banque, situé au cœur du quartier de Beyoglu très cosmopolite et touristique.

L’exposition, prévue jusqu’au 15 janvier, a déjà été prolongée deux fois. Le signe, pour certains, que la vie artistique reste florissante sous le règne du président Recep Tayyip Erdogan, souvent accusé de dérive autoritaire et islamiste. Même si le gouvernement ne pratique que très rarement la censure directe, de nombreux artistes lui reprochent en effet ses pressions sur les artistes, par le biais de retraits de subventions publiques.

> « Muren fait partie de notre ADN »

L’intérêt pour cette icône gay surprend également dans un pays où l’homophobie est largement répandue et souvent accompagnée de violences, même si l’homosexualité n’est pas pénalement réprimée en Turquie à la différence de nombreux pays musulmans. En 2010, la ministre de la Famille, Aliye Selma Kavaf, avait ainsi suscité un tollé en qualifiant l’homosexualité de « maladie » devant être « soignée ».

« Tout le monde a entendu dans sa vie au moins une chanson de Zeki Muren. Les visiteurs nous disent souvent : « C’est une exposition sur ma propre vie », estime, pour expliquer ce succès, l’un des commissaires de l’exposition, Veysel Ugurlu. Muren fait simplement partie de notre ADN. » « C’était le héros de mon enfance. Et à voir tant de monde lui rendre hommage, je ne pense pas que quiconque ait mis en cause sa sexualité », explique Zeliha Okcu, une visiteuse de 30 ans.

À sa mort, Zeki Muren, jamais marié et sans enfants, a légué tous ses biens – costumes, chaussures, disques, lettres – à l’armée et à une fondation turque pour l’éducation. Parmi ces trésors aujourd’hui dévoilés, une série de lettres adressées par sa mère Hayriye à son « seul et unique enfant chéri ». « Tu es le fruit le plus doux au monde », lui écrit-elle. Dans une autre, elle le compare encore à un « ange sans aile déposé sur cette terre par la capsule spatiale Apollo XI »…

Le public peut aussi découvrir des chaussures aux talons vertigineux, des combinaisons pailletées, des chapeaux constellés de brillants ou des minijupes, souvent dessinés et conçus par le chanteur lui-même. Premier Turc à avoir osé se présenter sur scène revêtu d’une jupe, Zeki Muren avait affublé ses vêtements de scène de petits noms comme « prince de la Lune » ou « nuits pourpres ». « Comme vous le savez, la gravité est plus faible sur la Lune. Pour cette raison, il est difficile pour les hommes de marcher sur la Lune. C’est pour ça que je porte ces bottes », avait expliqué un jour cet original.

Autre clou de l’exposition, une recette de cocktail de la main du chanteur, mélange de citron, vodka et cognac. « Un verre est suffisant pour vous faire oublier tous vos problèmes et vous plonger dans le plus doux des rêves », disait-il. Au terme d’une vie vécue devant les caméras, Zeki Muren est mort sur scène, terrassé par une crise cardiaque à 65 ans alors qu’il enregistrait une émission.

Les producteurs du show venaient juste de lui remettre le micro qu’il avait utilisé pour sa première prestation radiophonique en 1951. Submergé par l’émotion, il s’est écroulé quelques minutes plus tard, plongeant toute la Turquie dans le deuil. « C’était un révolutionnaire. Il nous a appris qu’il était possible d’être différent, de penser ou de s’exprimer autrement, résume Veysel Ugurlu. Il restera à jamais dans nos mémoires. »

Le Quotidien/AFP