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[Exposition] Le combat de Varian Fry, «Schindler de l’art»


L’exposition rend hommage à un «homme qui est sorti de sa zone de confort et (qui) n'avait aucune raison d'aller ainsi risquer sa vie», selon sa scénographe. (Photo : mémorial de la shoah/collection jean bernard)

Le combat peu connu de Varian Fry, journaliste américain qui a sauvé des centaines de juifs et militants antinazis, est mis en lumière à travers une exposition d’artistes, comme Chagall ou Ernst, ayant bénéficié de son aide.

Marseille, août 1940 : le journaliste américain Varian Fry, 32 ans, débarque dans la cité phocéenne, mandaté par l’Emergency Rescue Committee (Comité de sauvetage d’urgence), fondé par des intellectuels américains. Dans ses bagages, 3 000 dollars et une liste de 200 noms d’opposants au régime hitlérien, d’intellectuels et d’artistes juifs pouvant prétendre à des visas américains. Prévu pour trois semaines, son séjour durera treize mois, permettant à plus de 1 800 Allemands, Autrichiens, Polonais, Tchèques ou Français d’échapper au régime nazi, selon Emmanuelle Polack. Cette dernière est commissaire de l’exposition «Treize mois pour sauver les artistes – Le combat de Varian Fry», présentée cet été dans le Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon, en Auvergne.

Depuis l’armistice de juin 1940, la France est divisée en deux : la zone occupée au nord par l’armée allemande et la zone libre au sud. À l’Hôtel Splendide, où il s’installe, Varian Fry transforme sa chambre en bureau du Centre américain de secours (CAS) pour permettre aux réfugiés qui affluent de la zone d’occupation allemande de fuir l’Europe vers les États-Unis, en organisant des entretiens et facilitant leurs démarches administratives. «Il va sauver des personnes menacées en raison de leurs origines, de leurs prises de position politiques ou de leur art, comme le surréalisme, considéré comme « dégénéré »» par le régime hitlérien, explique Emmanuelle Polack.

Sa chambre devenant vite trop petite, Varian Fry en occupe une seconde, puis finit par louer la Villa Air-Bel, un vaste ensemble comptant dix-huit chambres, qui abritera de nombreux artistes surréalistes. Parmi eux, André Breton, Marc Chagall, Max Ernst, Victor Brauner… tous actuellement exposés dans le musée auvergnat.

«Résister par l’art»

Dans la Villa Air-Bel, rebaptisée «Château Espère-visa», ces artistes vont constituer «un phalanstère créatif pour tromper l’angoisse et résister par l’art», dit la commissaire. André Breton a repris notamment avec ses homologues le concept du cadavre exquis, qui consiste à dessiner un personnage composite, le premier participant réalisant la tête, le deuxième le corps, le troisième les jambes. Les artistes ont également créé un jeu de cartes où chacun participe selon son style. L’exposition présente un dessin collectif – une «pièce très rare» jamais montrée au public – d’André Breton, Oscar Dominguez, Wifredo Lam et Jacqueline Lamba, réalisé dans cette villa. Deux œuvres de Chagall ainsi que d’autres de Jacqueline Lamba, Jean Arp, Victor Brauner, Max Ernst sont aussi exposées.

«Nous avons voulu rendre hommage à cet homme qui est sorti de sa zone de confort et n’avait aucune raison d’aller ainsi risquer sa vie», dit Marie Deparis-Yafil, scénographe de l’exposition. Le village du Chambon-sur-Lignon, qui propose cette exposition estivale jusqu’au 19 octobre, est lui aussi tout un symbole : ses habitants ont reçu la médaille des Justes pour avoir sauvé de nombreux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

«Héros discret»

Les autorités occupantes voient d’un très mauvais œil l’action du journaliste arrêté le 29 août 1941, puis expulsé vers la frontière espagnole d’où il rentre chez lui, rappelle Emmanuelle Polack. «Il essaye d’alerter les États-Unis en tenant des conférences sur la politique du département d’État qui ne donne pas assez de visas», raconte cette historienne de l’art spécialisée dans les spoliations d’œuvres. Mais «loin des honneurs que pourrait lui valoir cette action héroïque, extraordinaire, de justice, il est mis à l’écart et reprend un poste de professeur de latin».

Dans les années 1960, il reçoit la médaille de la Liberté, puis la France le décore du grade de chevalier de la Légion d’honneur en avril 1967, l’un des seuls honneurs reçus de son vivant. Il décède le 13 septembre 1967. Le 5 février 1996, il est le premier Américain reconnu Juste parmi les nations. Et en 2023, une série, Transatlantique, a retracé sa vie sur Netflix.

Mais le combat de cet «Oskar Schindler de l’art», du nom de l’industriel allemand qui a sauvé plus de 1 000 juifs pendant la guerre, «est souvent méconnu». «C’est un héros discret», souligne Emmanuelle Polack.

Jusqu’au 19 octobre. Lieu de Mémoire – Chambon-sur-Lignon.

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