Le Cercle artistique de Luxembourg et son salon continuent leur mue, toujours plus sensibles à la créativité des jeunes artistes et à un secteur qui se professionnalise.
Il y a une dizaine d’années, le CAL, né en 1893 (son salon, trois ans plus tard), était considéré comme une institution sur la pente raide. Un entre-soi devenu vieillot, aux propositions ronflantes, dépassé par l’effervescente créativité du secteur visible au pays. Pour reprendre le train en marche, il a été alors nécessaire de dépoussiérer les intentions, ce que son ancien président Jean Petit, puis son successeur, Marc Hostert, se sont évertués à faire.
Comment cette transition s’est-elle opérée? En s’ouvrant plus volontiers à d’autres disciplines (photographie, installation, dessin), en changeant d’adresse (notamment du côté des Rotondes), en se tournant aussi vers la jeunesse, mieux à même de porter dans son travail les questionnements d’une époque et, par ruissellement, de rajeunir le salon. «On est une vitrine culturelle!», continue Marc Hostert, conscient de ce qu’implique l’expression.
«Coup de pouce» pour les jeunes artistes
Surtout quand, à deux pas, dans une synergie recherchée, la Luxembourg Art Week attire à la même période collectionneurs et galeries de toute l’Europe qui, parfois, font un détour par le Tramsschapp, lieu de résidence (à proximité) du salon depuis cinq ans. «L’espoir, c’est que certains artistes du Luxembourg se fassent remarquer ici. Ça pourrait être un tremplin pour eux, car, c’est un fait, ils doivent sortir du pays!», continue le président du CAL, en verve.
Dans les faits, quelques indices de ce renouvellement s’observent. Dès l’entrée d’ailleurs, avec cette mise en bouche intitulée «Coup de pouce», convoquant quatre jeunes artistes d’une vingtaine d’années, dénichés à la Biennale de Vianden (Viart). «C’est important d’ouvrir des portes, d’offrir des opportunités, enchaîne-t-il. Surtout que la pression et la concurrence sont plus fortes d’année en année.» Rappelons que pour devenir membre du CAL, il faut y avoir exposé au moins trois fois en sept ans. Et que les candidatures sont, à chaque édition, toujours plus nombreuses.
Les «ruptures» provoquées par la pandémie
Outre le prix Révélation, remis tous les deux ans depuis 2009 (dont cette année, lors du vernissage samedi), d’autres symboles, très d’époque, ne trompent pas : des femmes largement majoritaires pour ce cru 2021 (30 artistes sur 47) et une percée vers le monde avec, depuis cette année, des invitations qui ne se cantonnent plus à la Grande Région (Liban, Japon). Sans oublier des offres tous azimuts qui étendent le réseau et évitent la sclérose : le CAL va se lancer en effet dans une exposition de «printemps» (réservée aux moins de 35 ans), s’est incrusté, au forceps, dans la programmation d’Esch2022 (avec le projet «Open Circle») et s’associe à la commune de Clervaux pour un prochain prix de la photographie.
Reste que, malgré toutes ces bonnes intentions, la moyenne d’âge s’éloigne difficilement des 50 ans – avouons qu’il y a encore, dans ce domaine, des efforts à faire. Mais quand on regarde les tableaux spatiaux-psychédéliques de Gast Heuschling (87 ans), un des «anciens» du salon, on se dit que le style ne se définit pas au nombre d’années! Si ses toiles font tourner les têtes à chaque édition, régulièrement, le CAL se rénove. Au point que le jury, pourtant d’un haut standing (composé notamment de Suzanne Cotter, Christian Mosar et Gabriele Lohberg), s’est dit en découvrant les œuvres : «Oui, là, il y a quelque chose!»
Ce qui fait dire encore à Marc Hostert : «J’ai remarqué qu’avec la pandémie des artistes se sont confrontés à des remises en question personnelles.» Soit, dans une «rupture fondamentale», en changeant par exemple de médium, soit en s’emparant de la thématique, mêlant mort et maladie, comme l’a fait Julie Wagener avec ses corps allongés dans un linceul (déjà visibles au Casino) ou, dans une approche moins tragique, Florence Hoffmann et ses pieds à perfusion remplis de lambeaux de livres, joliment titrés «La science infuse». Juste derrière, un portrait du photographe surréaliste Andrés Lejona montre un homme affublé d’un énorme masque…
Une organisation très «physique»
Dans une exposition encore «en chantier», comme le précise l’organisation, qui célèbre le 125e anniversaire du salon, certains changements notables sont à remarquer. On apprend sur place que, par rapport à l’an dernier, il y a peu de photographies et encore moins de sculptures – les rares présentes sont, de surcroît, de petits formats. La faute, parfois, à l’inévitable virus. «Des œuvres, alors en impression, sont restées bloquées en Allemagne», précise Marc Hostert.
Un contretemps fâcheux qui n’entame toutefois pas l’enthousiasme ni le rythme du président, toujours entre deux courses. «On est à fond!, soutient ce dernier dans un souffle. On est au maximum de ce que peut réaliser une ASBL.» À preuve, l’«indispensable» catalogue, réalisé en seulement 28 jours. «C’est physique!», soutient son instigateur, Serge Koch. Des œuvres sur papier qu’il est bon néanmoins de quitter des yeux pour mieux les apprécier grandeur nature. Particulièrement pour Marc Hostert. Particulièrement pour les bijoux de minutie signés Chikako Kato, peintre au microscope.
On aime ou on n’aime pas, mais ça change!
Parmi les pièces les plus marquantes – et surprenantes –, notons encore les structures en bois de Karolina Pernar (sûrement fan des Kapla durant sa jeunesse), des fils de laine indomptables de Marie-Pierre Trauden-Thill, les xylogravures d’Anneke Walch (qui, pour le coup, ramènent à des temps anciens), sans oublier les peintures très «pop» du jeune Xavier Karger (rappelant celles de Michel Majerus), les sculptures inspirées de dessins enfantins de Letizia Romanini et les clichés baroques de Marie Capesius. Un assemblage hétéroclite qui permet à Marc Hostert de conclure. «On aime ou on n’aime pas, mais ça change!» C’est même tout le principe.
Grégory Cimatti
Tramsschapp – Luxembourg. Vernissage ce samedi à 17 h. Jusqu’au 14 novembre.
Julie Wagener, prix Révélation 2021 du CAL
À l’occasion du vernissage du salon du CAL, le prix Révélation, remis tous les deux ans pour soutenir la jeune création, a été attribué à Julie Wagener, 31 ans.
Du côté du Tramsschapp, l’artiste, née à Bogota, expose le triptyque It Hurts Until it Doesn’t, qui aborde la question de la santé mentale, sujet ô combien d’actualité dans notre société marquée par la pandémie. Des œuvres qui avaient déjà été présentées à l’occasion de la Triennale Jeune Création «Brave New World Order» au Casino.
Rappelons que les précédents prix Révélation ont été attribués à Nina Tomàs (2017) et Pit Molling (2019).
Catherine Lorent, prix Grand-Duc Adolphe 2021 du CAL
Elle a été prix Révélation du CAL en 2011, avant d’être la représentante du Luxembourg à la Biennale de Venise deux ans plus tard. Catherine Lorent, toujours branchée guitare et musique expérimentale, obtient cette année le prix Grand-Duc Adolphe pour son œuvre 7 vues phantastiques sur la mer, entamée en 2004.
Ce travail démontre l’univers singulier de l’artiste, 44 ans, originaire de Munich, mêlant à sa guise références et esthétiques les plus variées : histoire de l’art et culture populaire, critique sociétale et théâtralité, ironie et douceur.
À noter que le salon du CAL est ouvert jusqu’à dimanche.