Attribué à tort à un peintre méconnu, le tableau Ecce Homo du Caravage est désormais authentifié, entièrement restauré et exposé pour quelques mois au musée madrilène du Prado.
Peint entre 1605 et 1609, Ecce Homo («Voici l’homme», en latin) représente le Christ, les mains attachées et la tête ceinte d’une couronne d’épines, lors de sa présentation à la foule par le préfet romain Ponce Pilate, peu avant sa crucifixion. Il s’agit de l’un des 60 tableaux au monde attribués au maître italien Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage (1571-1610), peintre à la vie tumultueuse lui-même oublié durant trois siècles avant que son génie soit de nouveau reconnu dans les années 1950.
Une toile d’une «valeur extraordinaire» marquée par une histoire hors du commun : voilà comment le célèbre musée madrilène du Prado décrit cette peinture vieille de 400 ans, où elle est montrée durant neuf mois, dont six dans une salle dédiée. Son exposition a été rendue possible par la «générosité» de son nouveau propriétaire – resté anonyme –, qui a accepté de prêter l’œuvre temporairement, a souligné le directeur du Prado, Miguel Falomir, lors d’une conférence de presse lundi dernier, à la veille du début de l’exposition du tableau.
Le Prado sonne l’alarme
La redécouverte de cette peinture est «un événement important» car «cela faisait plus de 45 ans» que l’on n’avait plus identifié de nouvelle œuvre du Caravage, assure David García Cueto, responsable du département de peinture italienne du Prado. Selon les experts qui se sont penchés sur son histoire, cette huile sur toile de petite taille a rejoint la collection privée du roi Philippe IV d’Espagne au milieu du XVIIe siècle, avant d’être exposée dans les appartements de son fils, Charles II. Léguée à la Real Academia de San Fernando, à Madrid, elle aurait été récupérée en 1823 par l’homme d’État et diplomate espagnol Evaristo Pérez de Castro en échange d’un autre tableau, avant d’être transmise à ses descendants.
Le tableau, tombé dans l’oubli, a retrouvé la lumière en avril 2021. Le prenant pour l’œuvre d’un disciple de José de Ribera, peintre espagnol du début du XVIIe siècle et grand admirateur du Caravage, une maison d’enchères madrilène l’avait mise à prix pour 1 500 euros. Alerté par des experts, le Prado avait sonné l’alarme, en invoquant «des preuves documentées et stylistiques suffisantes» pour envisager que l’œuvre soit du Caravage. Dans la foulée, le ministère espagnol de la Culture avait bloqué l’opération et interdit son exportation. Une intervention aujourd’hui saluée par la communauté des historiens de l’art : «les spécialistes» qui se sont penchés sur ce tableau ont établi «de façon absolument unanime» qu’il s’agissait d’une peinture du maître italien, insiste David García Cueto.
36 millions d’euros
Parmi les experts ayant participé à l’authentification de cet Ecce Homo – une scène de la Passion du Christ régulièrement représentée dans l’art classique – figure Maria Cristina Terzaghi, professeure d’art moderne à l’université italienne Roma Tre. Le tableau «a été soumis à des images radiographiques» et à un «examen» approfondi, notamment lors de sa restauration, a raconté lundi l’universitaire, qui s’était déplacée à Madrid dès le blocage de la vente pour ausculter le tableau. Or tous ces éléments montrent qu’il s’agit «bel et bien d’un chef-d’œuvre du Caravage», a ajouté l’experte, évoquant pêle-mêle la nature des coups de pinceau, la composition du tableau ou l’expressivité des personnages, tous typiques du spécialiste italien du clair-obscur.
Qu’adviendra-t-il de cette peinture une fois passés les neuf mois d’exposition? Selon des médias espagnols, le tableau – qui aurait été acheté 36 millions d’euros par son nouveau propriétaire, un citoyen britannique résidant en Espagne – pourrait rester montré au grand public. Ecce Homo «ne va pas finir au domicile de son acheteur», car ce dernier souhaite qu’il rejoigne des «collections publiques, pour le moment, sous forme de prêt», a assuré Jorge Coll, responsable de la galerie qui s’est chargée de sa vente, au quotidien El País. Du côté du Prado, on se dit toutefois prudent : «C’est une œuvre privée, donc son propriétaire aura le dernier mot», rappelle Miguel Falomir.