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[Exposition] La fascination pour l’étrange d’Eli Lotar


L’œil singulier et peu connu du touche-à-tout Eli Lotar est célébré au Jeu de Paume, à Paris. Entre surréalisme et documentaire, poésie et engagement, ville et voyage, image fixe et cinéma. (Photo : Eli Lotar)

Il est bien difficile de présenter Eli Lotar. Photographe, cinéaste, militant, reporter, surréaliste, assistant (et amoureux) de la célèbre Germaine Krull… Il possède plus d’une corde à son arc.

Le Jeu de Paume, à Paris, fait le tri et célèbre cet avant-gardiste. Entre surréalisme et engagement documentaire, entre photo et cinéma, le photographe Eli Lotar, créateur tourmenté et subtil, a su dépasser l’esthétique moderniste des années 20 pour poser un regard poétique sur son temps.

La rétrospective que présente le Jeu de Paume est la seconde consacrée à cette «grande figure de l’avant-garde française», après celle que lui avait dédié le Centre Pompidou en 1993-94. Mais c’est la «première constituée d’une centaine de tirages vintages», fait valoir l’un des commissaires, Clément Chéroux, ancien responsable du département photo de Beaubourg. Coproducteur de l’exposition à l’occasion de ses quarante ans, le Centre Pompidou détient un important fonds Eli Lotar – quelque 7 000 négatifs et près de 400 tirages vintages.

Au côté des tirages d’époque, sont exposées, directement imprimées sur la paroi des salles, des reproductions numériques de négatifs, revues ou autres documents, témoignant de l’étendue des pratiques artistiques d’Eli Lotar, mort en 1969. Elles montrent ses déambulations urbaines, ses voyages en Méditerranée, la vie du monde du spectacle parisien ou ses collaborations régulières avec d’autres artistes.

De son vrai nom Eliazar Lotar Theodorescu, il est né à Paris en 1905, mais a passé son enfance et son adolescence en Roumanie. Revenu en France pour faire carrière dans le cinéma, il devient le compagnon de la photographe Germaine Krull à laquelle le Jeu de Paume a consacré une rétrospective fin 2015. Elle forme le jeune homme à la technique photographique et trouve bientôt en Lotar un assistant idéal, au regard aigu, attentif aux détails et aux signes de la ville, premier terrain de jeu photographique du couple.

Lotar s’approprie rapidement le langage moderniste : vues plongeantes, décadrage, gros plan, adoptant «un point de vue de plus en plus radical, avec des bascules plus importantes», note Damarice Amao, auteur d’une thèse sur le photographe et également commissaire de l’exposition avec Pia Viewing.

Sa recherche de l’étrangeté, du décalage par rapport au réel, très tôt manifestée, ne pouvait que rapprocher Eli Lotar des surréalistes. Il n’a cependant jamais fait partie du groupe, mais il a fréquenté plusieurs de ses membres ou ex-membres, comme le photographe Jacques-André Boiffard, avec qui il partage un studio. Ou encore Roger Vitrac qui voyage avec lui dans les Cyclades : sur place, il y photographie aussi bien des terres cuites archaïques de Béotie que des pêcheurs au travail.

Eli Lotar signe avec Antonin Artaud une brochure sur le théâtre d’Alfred Jarry où il expérimente pour la première fois la technique du collage. Ses images fortes des abattoirs de la Villette – pieds de veau alignés, murs éclaboussés de sang – sont publiées dans la revue Documents de Georges Bataille en 1929. Une publication célèbre qui a joué «le rôle de l’arbre qui cache la forêt» de l’œuvre de Lotar, estime Clément Chéroux.

Comme beaucoup d’artistes de son temps, Eli Lotar était fasciné par le 7e art et a collaboré avec de nombreux metteurs en scène, y compris comme directeur de la photographie, opérateur ou assistant-réalisateur. En 1930, il participe au tournage du documentaire Zuyderzeewerken de Joris Ivens sur la construction d’une digue aux Pays-Bas et publie une série de photos sur ce chantier colossal.

La place que prend le cinéma dans sa vie va de pair avec un engagement politique croissant. Lotar adhère en 1932 à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires et collabore avec le groupe Octobre. Il est également un des opérateurs du film Terre sans pain (Las Hurdes) de Luis Bunuel, ex-surréaliste, sur une région oubliée de l’Espagne.

Entre films disparus et projets avortés, une seule œuvre va lui valoir une certaine reconnaissance, Aubervilliers (1945), une commande du maire communiste de la ville Charles Tillon sur les bidonvilles de la commune. Ce documentaire poétique – sur une musique de Kosma et un texte de Prévert – est visible à l’exposition, ainsi que Zuyderzeewerken.

Le Quotidien

Jusqu’au 28 mai.

www.jeudepaume.org

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