Avec trois installations monumentales, l’artiste allemande Katharina Grosse investit le Centre Pompidou-Metz. Vivante et radicale, sa peinture n’a plus besoin d’être accrochée aux murs pour être exposée.
Derrière le titre poétique de la nouvelle exposition consacrée à Katharina Grosse, «Déplacer les étoiles», il y a l’idée d’un art mobile. De Berlin à Sydney, les deux villes où elle partage sa vie, jusqu’à Metz, elle voyage avec ses œuvres, en les repensant et les transformant selon l’espace où elles sont montrées.
Loin de faire exception à cette règle fondamentale, le Centre Pompidou-Metz se propose comme un lieu idéal pour les installations monumentales de la peintre allemande. À preuve, la toile spectaculaire de 8 250 m² déployée dans la Grande Nef du musée – une œuvre originellement réalisée et exposée en 2018 à Sydney sous un titre à la même démesure : The Horse Trotted Another Couple of Metres, Then Stopped. Recousue, nouée, tendue et repeinte selon la hauteur et la surface de l’espace d’exposition, elle est maintenant intégrée à une nouvelle œuvre in situ, qui se poursuit à l’extérieur du musée, et qui donne cette fois son titre à l’expo.
Voilà qui prouve certainement que les travaux de la peintre avant-gardiste ne sauraient être mieux mis en valeur dans un endroit plutôt qu’un autre, puisque «chaque structure (qu’elle) invente est une actualisation de la peinture», expliquait hier l’artiste au milieu de son œuvre fraîchement repeinte.
Ce drapé gigantesque, sur lequel éclatent des couleurs vives projetées au pistolet aérosol, reflète en premier lieu une volonté de s’émanciper de ce que l’artiste appelle «la problématique de la toile». Inspirée par l’«action painting» des avant-gardes américaines, mais aussi, à plus forte raison, par l’architecture des jardins et bâtiments, Katharina Grosse a fait naître son œuvre d’une «réflexion sur l’espace».
«Je me suis toujours demandé pourquoi il fallait construire des murs pour y accrocher de la peinture.» Une question qu’elle exporte au musée, employée depuis deux semaines à faire renaître l’une de ses œuvres phares dans un «dialogue vivant» avec le lieu : «Le simple fait que l’on marche dessus change la pièce; au fil des visites, de nouveaux plis se feront, d’autres se dénoueront… D’une certaine manière, le travail est encore en cours.»
Face à la «fluidité» impressionnante de la toile, il fallait une œuvre au moins aussi prodigieuse. Si Katharina Grosse a, par le passé, réalisé des œuvres en pleine forêt, c’est un arbre qu’elle amène aujourd’hui au musée. «Tombé dans la Forêt-Noire», l’arbre tient en diagonale comme par magie, avec un équilibre presque impossible, les racines en avant, aux milliers de ramifications toujours plus fines. L’œuvre convoque en même temps les sentiments contraires du danger et de la fragilité.
«Chez Katharina Grosse, la question de la légèreté est traitée de manière ambiguë», précise Chiara Parisi, directrice de Pompidou-Metz et commissaire de l’exposition. Une idée qui se retrouve dans l’apparente facilité de l’œuvre, mais qui cache un long travail mathématique et de réalisation de maquettes pour sa réalisation. L’artiste insiste : «Ma liberté de créer, je ne la trouve qu’après avoir analysé toutes les possibilités qui s’offrent à moi.»
Univers mentaux
Comme une évidence pour l’artiste et la commissaire, restées proches depuis qu’elles ont collaboré lors d’une exposition à la Villa Médicis de Rome, en 2018, la pièce fondamentale qui devait être réactivée à Metz s’intitule The Bed. «Mon lit est la première chose que j’ai peinte à la bombe», se rappelle Katharina Grosse : en 2004, elle transformait radicalement sa chambre de Düsseldorf en la recouvrant de peinture.
«À l’époque, je travaillais dans différents ateliers, mais ma chambre était l’endroit où j’avais tout : mes livres, mes peintures, mes cahiers… Alors, travailler avec mon lit m’a ouvert un monde de possibilités!» Inspirée tant par l’architecte Shigeru Ban (concepteur du Centre Pompidou-Metz) que par les jardins de Monet à Givry et ceux de la Fondation Louis Vuitton à Paris, elle transforme un temple de son intimité en une sorte de petit musée, comme en attestent de nombreuses piles de livres, elles aussi bombardées de peinture. «Les couleurs transforment les objets, y compris pour leur valeur sociale, politique ou philosophique», analyse en outre l’artiste.
De cette chambre à coucher aux couleurs pop qui accueille les visiteurs dans le Forum du musée, aux réalisations plus impressionnantes encore de la Grande Nef, les trois installations qui forment l’exposition «Déplacer les étoiles» dressent une passerelle imaginaire vers le rêve, ouvrant à des univers mentaux radieux dans lesquels on aimerait se perdre, comme on est tenté de se fondre dans les mouvements et les couleurs de la toile. Plus que jamais vivante et novatrice, Katharina Grosse opère le changement d’une peinture «proche du corps», donc «vivante». Et assure : «Les œuvres d’art peuvent avoir une vie intéressante!»
Jusqu’au 24 février 2025. Centre Pompidou-Metz.