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[Exposition] D’une villa suisse à l’autre, d’impressionnants impressionnistes


Chef-d’œuvre de Pierre-Auguste Renoir, La Natte est aussi surnommée la «Joconde de Langmatt». Son modèle est la peintre Suzanne Valadon.

Renoir, Cézanne, Degas… Le musée Langmatt, fermé pour travaux, prête sa collection de chefs-d’œuvre impressionnistes à la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne.

«Je n’avais jamais vu les tableaux dans cette lumière», s’émerveille le directeur du musée Langmatt, qui a prêté sa collection de dizaines de chefs-d’œuvre impressionnistes à la Fondation de l’Hermitage de Lausanne.

Ces œuvres – dont des pièces très spéciales comme La Natte de Renoir, un Nu de femme de Degas à la tenture jaune ou Les Glaçons, effet de crépuscule de Monet – n’avaient pour l’essentiel jamais quitté le cocon du musée non loin de Zurich, au nord de la Suisse, ses éclairages aux chandeliers de cristal et ses fenêtres à croisillons.

À la Fondation de l’Hermitage, les larges baies vitrées de cette villa du XIXe perchée sur les hauteurs de Lausanne donnent libre cours aux mêmes jeux de lumière qui ont tant inspiré les auteurs de ces toiles.

L’exposition «Chefs-d’œuvre du musée Langmatt», qui se tient jusqu’au 3 novembre, est un bel hommage au 150anniversaire de l’impressionnisme, mais aussi au couple de collectionneurs Sidney et Jenny Brown, qui a constitué cet ensemble exceptionnel entre 1908 et 1919. Toutes les œuvres ont été «achetées avec le cœur», explique Markus Stegmann, le directeur du musée Langmatt, plutôt que sur les conseils d’experts.

Passion risquée

Les Brown, une riche famille de la bourgeoisie industrielle du nord de la Suisse, ont fait montre d’un goût très sûr. Pendant sa lune de miel, en 1896, le couple a acheté le tableau d’Eugène Boudin Les Lavandières, penchées sur l’eau avec une usine fumante en guise de fond. «Ce n’est pas une œuvre facile, ce n’est pas une œuvre aimable», explique Sylvie Wuhrmann, directrice de la Fondation de l’Hermitage.

Sidney et Jenny Brown ont aussi collectionné les artistes de la Sécession munichoise avant de se passionner pour les Français contemporains. Renoir est un grand favori, aux côtés de Pissarro et Cézanne. Un amour non sans risque, dans une société où les artistes admirés par les Brown font encore scandale.

«Nous nous asseyons tous les soirs dans l’atelier devant les impressionnistes, car nous n’avons pas encore osé les descendre», craignant la réaction des amis et connaissances, écrivait Jenny Brown en 1910.

La Natte dénote parmi les œuvres emblématiques de Renoir dans la collection, comme La Barque ou les portraits de ses enfants. Ce portrait de femme est inspiré d’Ingres, et sa qualité lui a valu le surnom de «Joconde de Langmatt».

Il résonne aussi avec la collection de la Fondation de l’Hermitage : le modèle de La Natte est Suzanne Valadon, peintre à qui Pompidou-Metz a dédié une grande exposition monographique en 2023, et dont la fondation lausannoise possède un ensemble de 17 œuvres.

Écrin provisoire

En 1919, pour des raisons difficiles à cerner, le couple change de goût. Exit l’impressionnisme, entre le XVIIIsiècle français. Jenny et Sidney Brown vendent alors huit tableaux, dont deux Cézanne, pour acheter un Fragonard, lui aussi prêté à Lausanne.

Mais c’est au peintre autrichien Max Oppenheimer (1885-1954) qu’ils ont demandé de tirer leur portrait, dans un style mêlant expressionnisme et cubisme. En 1941, le goût de la collection s’assèche et l’ensemble restera figé.

Quand il a fallu trouver un écrin provisoire pour ses tableaux pour cause de rénovation de la villa Langmatt, Markus Stegmann n’a pas hésité, au vu des similarités du lieu d’origine avec la Fondation de l’Hermitage, qui fête elle-même ses 40 ans cette année. Cette collaboration a aussi permis de publier un catalogue qui ne compte pas moins d’une vingtaine de textes de spécialistes de cette période, conservateurs et historiens de l’art, a souligné Markus Stegmann, là où le Langmatt n’avait pas les moyens de se lancer dans un tel projet. Après les quatre mois passés à Lausanne, l’exposition pousuivra son chemin à Cologne, puis Vienne, avant de rentrer au bercail rénové.

En novembre dernier, confronté à de graves difficultés financières, le musée Langmatt s’était vu forcé de vendre trois Cézanne aux enchères à New York. «La vente – une solution de la dernière chance – a été un pas douloureux pour nous», avait alors dit le directeur. Fruits et pot de gingembre avait été adjugé à près de 39 millions de dollars, ce qui avait permis au musée de voir l’avenir avec beaucoup plus de sérénité.

Jusqu’au 3 novembre. Fondation de l’Hermitage – Lausanne