Depuis trente ans, sa passion pour les bijoux d’artistes l’a transformée en collectionneuse. Diane Venet dévoile au Cercle Cité les œuvres miniatures de créateurs majeurs, pour un voyage dans l’histoire de l’art et ses éminents représentants.
Sous des spots éclatants, le Cercle Cité brille de mille feux. Dans un bel écrin de bois, ce sont en effet 140 bijoux qui y prennent toute la lumière. Toutefois, point d’émeraude ni de diamant ici, la valeur de la réunion tenant surtout à ceux qui les ont créés. «Ce qui compte, ce n’est pas la pierre ou l’or, mais l’artiste !», plaide ainsi Diane Venet, collectionneuse depuis trente ans, qui trimballe son musée miniature depuis 2008 dans le monde entier. C’est un fait, mais les pièces qu’elles portent et qu’elles montrent à l’envi méritent de s’exposer, selon une expression rodée qui tient, une nouvelle fois, à sa propriétaire : «J’aime à dire que je ne porte pas des bijoux, mais de l’Art !»
Son histoire commence en 1967, à la sortie d’une exposition de Roy Lichtenstein à New York, qu’elle quitte avec une broche «à trois dollars» épinglée à son manteau. Un «accident», reconnaît-elle aujourd’hui. «Je l’ai achetée sans savoir que je m’intéresserai au sujet bien plus tard.» Soit quasi une double décennie, quand en 1985, son futur mari, l’artiste Bernar Venet, lui passait une fine bague d’argent «faite maison» autour du doigt. Le début d’une double histoire : celui d’un amour, bien sûr, mais aussi celui d’une obsession. Car depuis ce jour, Diane Venet traque, lors de ventes ou grâce à ses relations, amicales et professionnelles, ces petits objets d’art. Sa collection en compte désormais 240.
Un impressionnant assortiment qui, au Cercle Cité, ou comme récemment à Monaco, s’affiche sans pudeur. Alignées avec sérieux dans un parcours chronologique et thématique, comme on ferait avec n’importe quel tableau ou sculpture, ces œuvres miniatures en mettent plein les yeux, ne serait-ce qu’en raison des signatures qui les accompagnent. Ils sont quasiment tous là : les artistes phares de l’avant-garde (Georges Braque, les frères Pomodoro, Alexander Calder), du surréalisme (Jean Arp, Salvador Dalí, Man Ray), du minimalisme (Frank Stella, Lucio Fontana) et de l’art contemporain (Jeff Koons, Kader Attia, ORLAN, Anish Kapoor). Sans oublier d’autres noms, tout aussi prestigieux, tel que Pablo Picasso, Louise Bourgeois, Fernand Léger, Yoko Ono, Jean Cocteau, César, Nikki de Saint-Phalle, Wim Delvoye, Damien Hirst…
Le «Diamond Traffic Kills» de Santiago Sierra
Derrière chaque bijou, il y a d’abord un geste qui, même pour de tels créateurs, s’apparente à une contrainte. Diane Venet détaille : «Le changement d’échelle est quelque chose de difficile : il ne suffit pas de faire en petit ce que l’on fait en grand !», les petites dimensions et le poids obligeant, en effet, à travailler différemment. Autre défi propre à un bracelet ou aux boucles d’oreilles : leur lien au corps. «Il faut que ce soit cohérent : c’est fait pour être porté. Moi, je les porte tous !», affirme la collectionneuse.
Lors de la visite à Luxembourg, elle arborait d’ailleurs une broche signée du sculpteur Bill Woodrow. Et lors de sa dernière exposition dans le sud de la France, elle s’est fait remarquer avec son collier acheté à Santiago Sierra, dont les fausses pierres s’indignent contre les vraies («Diamond Traffic Kills»). Mais attention, rigole-t-elle, «ce n’est pas mon ego que j’affiche !» Pour elle, il faut surtout se mettre à la hauteur de sa collection en mode «rétréci», dans une humilité qui évite de succomber au strass et aux paillettes
«C’est quelque chose de marginal, une niche à part», soutient Diane Venet. J’ai toujours voulu partager le fait que ça existe.» En effet, ces réalisations sont pour la plupart méconnues. Certes, Picasso gravait déjà des galets pour l’une de ses muses, Dora Maar, et d’autres se sont lancés, plus tard, dans une production industrielle («il y a plus de 2 000 bijoux signés Calder», apprend-on). Mais dans l’ensemble, oui, le geste reste rare. Une question de pratique, encore : «Des artistes font les bijoux eux-mêmes, d’autres trouvent des artisans qui connaissent la technique de l’émail.» Et certains n’ont «jamais trouvé de solution», s’amuse-t-elle, bien qu’elle soit toujours sur leur dos. «Je m’accroche, j’ai un côté sangsue !» (elle rit).
Frank Stella piqué au vif et Man Ray pressé
Qu’il soit une pièce unique ou issu de petites éditions, qu’il soit une commande directe auprès d’un artiste ou déniché auprès d’autres collectionneurs, grâce à son réseau (elle rend ainsi hommage sur une vidéo et dans le livre de l’exposition à un expert-ami de Milan, décédé l’année dernière, Giancarlo Montebello), chacun de ses bijoux raconte une histoire. «Il n’y a rien de commercial derrière tout ça, mais de l’amour et des amitiés.» Sa collection en regorge. Entre des tableaux et des sculptures plus volumineuses – qui illustrent bien l’idée du bijou comme prolongement de l’œuvre originale –, Diane Venet s’arrête ainsi sur de nombreuses pièces, pour mieux décrire le lien intime qui l’unit à sa collection.
Ici, le bijou confectionné par Frank Stella, pourtant irascible sur le sujet : «Il ne voulait rien savoir, disait qu’il faisait de ‘grandes choses’… Jusqu’au jour où mon mari lui a dit : ‘C’est dommage que tu refuses. John Chamberlain vient d’en faire un !’. Il a alors sorti d’un tiroir un collier mal emballé dans un vieux journal en disant : ‘C’est un cadeau pour Diane !’ ». Là, les fameuses boucles d’oreilles de Man Ray, portées par Catherine Deneuve, ou encore les étranges lunettes, toujours du célèbre photographe, conçues pour conduire à vive allure.
Lucio Fontana poinçonne et Vassilakis Takis moule
Dans le lot, on découvre également la création, tout en froufrou, de Yayoi Kusama, «difficile à porter». «J’ai peur qu’il prenne la poussière sinon, il serait foutu !», lâche Diane Venet. Ou encore celle de Vassilakis Takis, «moulée sur les parties intimes de sa petite amie»… Le plus étonnant, c’est que pour de nombreuses œuvres, la signature de l’artiste est reconnaissable, comme celle de Lucio Fontana, aux coups de poinçon évidents. «C’est important d’avoir des noms qui parlent, sinon, ce serait une forme de snobisme, et ça ne dirait rien au public. Où serait alors l’intérêt ?», précise-t-elle.
Au gré de la balade, on apprend que des pièces sont réalisées dans un matériau pauvre (parfois même de récupération), à l’instar de ces peaux de serpents séchés, cette corde peinte en jaune ou ce fossile-médaillon. Diane Venet, tout au long de ses pérégrinations, donne même de la place aux artistes locaux, comme c’est encore le cas au Luxembourg avec cette bague confectionnée par les plasticiens Martine Feipel et Jean Bechameil, dont le travail est montré en détail, du croquis initial à la finalisation («Believer», 2020).
Enfin, dans ce musée miniature, on n’oublie pas l’essentiel, à savoir que tout bijou relève souvent d’un geste vers l’autre, d’une intention d’offrir. Diane Venet a, là aussi, son point de vue : «Les artistes hommes ont souvent fait cadeau d’un bijou comme preuve d’amour à une femme à leurs côtés. Les femmes ont peut-être fait des bijoux… pour l’amour du bijou !» Un postulat qui, aujourd’hui, prend du plomb dans l’aile. Ainsi, dit-elle dans une moue triste, durant les soirées mondaines, devant ses apparats, «les femmes ne demandent pas forcément ce que c’est». Et parallèlement, ce sont les «hommes» qui reviennent voir les expositions, rarement emballés par l’offre de départ, mais «motivés» par leurs compagnes et amies. Tout le pouvoir du bijou, décidément surprenant.
Grégory Cimatti
«Bijoux d’artistes, de Picasso à Koons» au Cercle Cité – Luxembourg.
Jusqu’au 23 janvier 2022.