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[Exposition] Des vies mises en bouteilles à Art Basel


Dans Messages du passage de l'Atlantique, de Sue Williamson, chaque bouteille représente un Africain qui a traversé l'océan en tant qu'esclave. (Photo : AFP)

Sue Williamson a donné une voix à l’Afrique lors du dernier Art Basel qui s’est tenu ce week-end.

L’artiste sud-africaine d’origine britannique Sue Williamson a participé pour la première fois à Art Basel, la plus grande foire internationale du marché de l’art contemporain qui s’est tenu du 15 au 18 juin, comme chaque année en Suisse, donnant une voix au continent africain sur la scène artistique mondiale. Pour cet événement où se pressent chaque année de riches collectionneurs venus du monde entier, l’artiste, âgée de 76 ans, est venue avec une de ses toutes dernières créations. Intitulée Messages du passage de l’Atlantique, son installation se présente comme une réflexion sur les cicatrices laissées par la traite des esclaves du XVIe au XIXe siècles.

«Le passage de l’Atlantique correspond aux enlèvements depuis les pays d’Afrique de l’Ouest à travers l’Atlantique et vers les Amériques», a expliqué l’artiste depuis Bâle. Exposée dans la section de la foire réservée aux œuvres monumentales, son installation s’articule autour de cinq bassins d’eau, qui représentent chacun un voyage, recensant le nombre de personnes au départ et à l’arrivée.

Au-dessus de chaque bassin sont suspendus de larges filets de pêche sur lesquels sont accrochées de lourdes grappes de bouteilles en verre qui renferment chacune des renseignements sur un esclave, retrouvés par l’artiste dans des archives des cargaisons. «Sur chaque bouteille sont gravés les détails d’une personne», a décrypté l’artiste qui y a inscrit aussi bien le nom africain, le prénom chrétien qui lui a été donné, le pays d’origine, la taille, l’âge et le sexe. «Cela ne représente que cinq de ces voyages, juste un tout petit échantillon de cette énorme migration de gens, de migration forcée», a-t-elle poursuivi.

Une vision du néocolonialisme

Cette installation fait en quelque sorte écho à la question des vagues de migrants d’aujourd’hui «venant de pays politiquement instables, politiquement désespérés» qui se trouvent forcés de prendre la mer, de traverser la Méditerranée, en quête d’une vie qu’ils espèrent meilleure pour leur famille. Ces migrants contrastent «avec cet énorme groupe de millions de personnes qui avaient été enlevées pour travailler dans les Amériques, dans les plantations de sucre, de café», a-t-elle poursuivi.

Née à Lichfield, en Angleterre, Sue Williamson est arrivée en Afrique du Sud 1948 à l’âge de sept ans peu avant que les lois sur l’apartheid ne soient adoptées. Choquée par la brutalité de la ségrégation, Sue Williamson, qui a débuté dans le journalisme, avant de passer quelque temps dans la publicité, s’est ensuite tournée vers l’art, dont elle a fait un outil militant. Formée à la gravure, elle s’est notamment illustrée par une série de portraits de femmes, retraçant le destin des militantes et victimes de l’apartheid, dont certains appartiennent désormais à la Tate Modern, le grand musée londonien d’art contemporain.

Plusieurs de ses œuvres sont actuellement présentées à la Fondation Vuitton à Paris, dans le cadre d’une exposition consacrée aux artistes africains. De nombreux artistes africains ont été exposés récemment à Paris, mettant les projecteurs sur une nouvelle génération qui refuse de se laisser enfermer dans les clichés. «À de nombreuses occasions, on m’a demandé « où est l’Afrique dans votre œuvre? » Et je sais que ce cela veut dire c’est « où sont les traces de perles ou les références aux masques? »», confie Sue Williamson, un rien agacée. «Ma réponse a toujours été que je vis en Afrique, je suis artiste et je vois les choses dans une perspective africaine», a-t-elle tranché.

«Je pense qu’il existe une forme de néocolonialisme, où l’art contemporain africain est perçu comme une autre forme d’art, qui ne fait pas partie du courant général», a ajouté Sue Williamson. «Et je suis heureuse de voir que cela est, je crois, doucement en train de tomber et que les artistes d’Afrique, originaires de ce vaste continent de 54 pays, sont en train de se faire une place sur la scène de l’art contemporain», s’est-elle félicitée.

Le Quotidien/AFP