Inspirée par la peinture ancienne, la photographe néerlandaise Carla van de Puttelaar magnifie le corps féminin à travers un clair-obscur sensuel, comme en témoigne le MNHA qui lui consacre une généreuse rétrospective.
Se balader avec Carla van de Puttelaar au cœur d’un musée qui sonne creux, c’est prendre le risque de troubler les doux rêves de ses modèles diaphanes ou de réveiller les fantômes des maîtres anciens de la peinture auxquels elle fait régulièrement référence. C’est que la photographe, 53 ans, ne cache pas sa joie de redécouvrir son travail, surtout quand celui-ci fait l’objet d’une belle rétrospective.
Alors, dans le calme pesant d’un MNHA à l’affluence en berne, ses rires font trembler les murs et ses explications enjouées donnent du souffle à cette étrange atmosphère du moment, plombée par le malaise d’un virus anxiogène.
Pourtant, aborder ses œuvres devrait se faire à pas feutrés, avec délicatesse. Il serait en effet dommage de déranger la quiétude de ses trois jeunes Vénus (2008) au corps blanc, fragiles et captivantes, comme le fut celle de Cranach il y a 500 ans. Cependant, les modèles de l’artiste néerlandaise, séparés en triptyque, ne se tiennent pas debout, mais semblent flotter dans l’air, étirant à l’infini leur beauté troublante.
Elles permettent aussi de synthétiser les obsessions de Carla van de Puttelaar, toujours vivaces après 20 ans de carrière : célébrer la vie, comme le corps féminin, et en traquer les moindres détails. Pour ce faire, elle convoque régulièrement ses maîtres à penser, notamment ceux du siècle d’or néerlandais. Sa toile préférée? La Descente de Croix de van der Weyden (1435). Ses inspirations? La liste est longue : Rembrandt, Vermeer, Van Eyck, mais aussi Le Caravage, Georges de la Tour…
Poses indolentes et flegme sculptural
D’illustres peintres qui, sur leur toile, ont su saisir la lumière comme personne. Fidèle, la photographe épouse la même trajectoire, se refusant d’utiliser, pour ses créations, un éclairage artificiel. D’où le titre de l’exposition («Brushed by Light»). Elle s’explique quand même : «Rien n’est plus beau que la lumière naturelle. Et composer avec elle est un vrai challenge, car on ne sait jamais comment elle va arriver.»
Avec une simple installation (un arrière-plan noir transportable et la lueur froide d’une fenêtre), Carla van de Puttelaar illumine l’ombre et fixe ses modèles dans une tension qui contraste avec leurs poses indolentes et leur flegme sculptural. Il lui arrive régulièrement d’oublier la distance et de fixer une main, un dos, un sein, voire la peau même qu’elle ausculte de son appareil : ici un frisson, une respiration, là un grain de beauté, une veine, une cicatrice, ou parfois de poétiques métaphores, comme lorsqu’elle met en parallèle l’écorce d’un tronc d’arbre, un pétale de fleur, un tissu d’un vêtement ou encore un drapé.
Introduite par une affiche qui représente une magnifique femme de dos avec une natte – qui fait penser à Botticelli –, la généreuse exposition, qui réunit quelque 78 photographies et 5 vidéos, se moque de la chronologie et offre une avancée décomposée en séries. Une rétrospective qui, c’est une évidence, montre ses premiers travaux qui ont gardé «toute leur puissance», soutient-elle, bien qu’une de ses nymphes soit, pour le coup, plus terrestre, quand on découvre sur son corps la trace à vif d’un sous-vêtement…
«Quand on est inspirée par un artiste, ça marche tout seul!»
De section en section, on découvre ainsi toute la richesse d’une œuvre qui cherche toujours à se diversifier. Ainsi, «Old Masters» se base sur la collection du MNHA avec, par exemple, une Pietà qui s’inspire de la peinture éponyme de Theodore van Loon. Dans un autre genre, «Lucid» retranscrit un onirisme à fleur de peau dans des tons fanés, comme lors d’un rêve éveillé. «J’aime ce moment étrange, confie-t-elle, énergique. Ce mélange de songe et de réalité, c’est magique!»
De leur côté, «Hortus Nocturnum» et «Ophelia» font elles entrer la nature dans des compositions complexes, ce qui est au passage assez pratique quand on est récompensée pour son travail : «Parfois, je reçois des bouquets pour un prix, mais je n’aime pas trop ça», lâche-t-elle. Elle en fait alors une photographie, où son modèle dort, entrelacé de plantes et de fleurs, ramenant poétiquement à Shakespeare et Hamlet.
Deux dernières séries, importantes, restent encore à souligner : d’abord celle mettant à l’honneur le peintre que fut Rembrandt (2016), réalisée, à la suite d’une commande, en un mois durant lequel elle a «travaillé comme une folle», mais avec plaisir : «Quand on est inspirée par un artiste, ça marche tout seul!», soutient-elle. Là encore, ombre et lumière s’enlacent autour de corps ornés de maigres accessoires. Ensuite celle, la plus singulière, qui met à l’honneur les femmes éminentes et brillantes du monde de l’art («Artfully Dressed : Women in the Art World»).
Initiée en 2017 et toujours en cours de réalisation (avec, déjà, un large éventail de 450 portraits), elle préfigure bien involontairement le récent mouvement #MeToo. Ce qui fait sourire Carla van de Puttelaar : «On me demande souvent : « Qu’en pensez-vous? ». Selon moi, il faut prendre le problème de manière plus large. L’important, c’est la personne que l’on est, quel que soit son sexe ou sa couleur de peau. Ça ne devrait pas compter, à condition d’être bienveillant et respectueux. On devrait pouvoir s’épanouir de façon égale. Bon, ce n’est malheureusement pas le cas…» Elle n’en dira pas plus, préférant, pour le coup, laisser parler ses corps solaires et charmeurs.
Grégory Cimatti
Musée national d’Histoire et d’Art – Luxembourg. Jusqu’au 18 octobre.
En se connectant sur le site du musée à la page de l’exposition «Brushed by Light», le visiteur peut déambuler virtuellement à travers les salles d’exposition et cliquer sur les points interactifs au mur pour lire les cartels. Sur place, des visites guidées sur tablettes seront aussi bientôt disponibles. www.mnha.lu