Les musées doivent-ils avoir un rôle social et accompagner les évolutions de nos sociétés? Certains établissements, de la Belgique aux États-Unis, y travaillent, afin de mieux représenter la diversité.
Renouveler les œuvres, représenter davantage la diversité, et encore monter des expositions qui reflètent les trajectoires des descendants d’immigrés : les musées sont le terrain d’un «combat» de société, partout dans le monde, pour «rendre visibles les minorités» et «déconstruire» les récits racistes.
«Notre travail consiste à regarder de quoi on a hérité, des récits qui ont institué des représentations faussées des sociétés qui ont été concernées par les conquêtes coloniales, les migrations, et de les déconstruire. C’est l’une des grandes fonctions du musée», a ainsi expliqué, lors d’un colloque international au musée de l’Immigration à Paris, l’historienne de l’art Zahia Rahmani.
Modèles postcoloniaux
«Il faut que les enfants issus de l’immigration sachent d’où ils viennent!», a résumé la chargée de mission à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), lors de ce rassemblement qui, la semaine dernière, s’est poursuivi sur le thème de la représentation des minorités. Comment améliorer leur place dans les collections, que l’ensemble des musées américains, britanniques ou encore français présents jugent insuffisant, voire scandaleux?
Le sujet n’épargne pas non plus les musées africains, où les collections obéissent à des modèles postcoloniaux, relève Richard Ohene-Larbi, muséologue pour le conseil des musées et monuments du Ghana. «Les Ghanéens ne veulent pas voir que le Ghana colonial. Malheureusement, les musées ne reflètent pas la diversité actuelle», poursuit-il. Pour «relever ce défi», il faut «trouver des collections qui reflètent le Ghana d’aujourd’hui», «mieux connaître les ethnies», explique Richard Ohene-Larbi.
Déconstruire les stéréotypes
Parfois, les œuvres et les collections sont déjà disponibles, mais les résistances sont tenaces : le musée d’Orsay, qui a pourtant hébergé en 2019 l’exposition «Le modèle noir» consacrée à leur représentation, «détient la plus grande collection au monde sur la banlieue», mais n’en fait rien, déplore Zahia Rahmani. «On attend toujours l’exposition. Jamais ce musée, dans sa programmation, n’a franchi le périphérique», tacle l’historienne de l’art.
Elle qui a monté l’exposition «Made in Algeria» au Mucem, à Marseille, estime que «travailler sur la colonisation, c’est impossible dans les musées nationaux» français. Conscient de l’ampleur du chantier, le ministère de la Culture veut toutefois «s’inspirer du chemin effectué sur le terrain de l’égalité hommes-femmes» pour en «dupliquer les recettes sur le terrain de la diversité», notamment pour «déconstruire les stéréotypes», a réagi Agnès Saal, responsable «diversité et égalité» au ministère.
La Belgique change de discours
En attendant, les musées doivent se doter de «figures de médiation» incarnées par des personnes issues de cette diversité, reprend Zahia Rahmani. «Ils ont le tact nécessaire et ont été éprouvés par ces histoires. Il faut leur laisser la place!», réclame-t-elle. Une proposition qui fait écho à ce qui existe déjà en Belgique, notamment au musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, a expliqué son ancien directeur Guido Gryseels, devant ses confrères.
À son arrivée à la tête de l’institution, il y a deux décennies, «la mission officielle du musée était toujours de faire la promotion des réalisations belges en Afrique centrale», pour «montrer aux Belges la supériorité des Blancs sur les Africains», raconte-t-il. «Aujourd’hui, on est dans un processus de co-construction. Dans toutes les activités du musée, il doit désormais y avoir une personne africaine ou d’origine africaine à un poste de responsabilité. Vingt pour cent des Belges sont issus de l’immigration, c’est important qu’ils se retrouvent dans le musée», souligne-t-il.
Accusations de militantisme
Quitte à exposer l’institution à des accusations de militantisme? «On dit que les musées doivent être neutres, mais ne rien faire c’est déjà faire un choix. Il faut avoir du courage», balaye Nicole Ivy, maître de conférences à l’université George- Washington de la capitale américaine. «Pourquoi, quand vous commencez à faire intervenir des sujets comme celui des Noirs, dit-on que c’est de l’idéologie?», interroge la philosophe Nadia Yala Kisukidi.
«Dès qu’on envisage ce genre de question, on est immédiatement accusé de produire des thèses mortifères qui visent à détruire la cohésion nationale et on apparaît comme une menace pour les institutions républicaines», explique encore la professeure à l’université Paris-VIII. Pour elle, ce sujet se résoudra nécessairement au niveau politique, car «à l’intérieur des institutions sont en train de se mettre en place des formes de combat». Reste une question centrale sur ce combat, toujours sans réponse : «Qui va l’emporter?».