Grand peintre flamand du XVIIe siècle, inspiré par le Caravage, Théodore Van Loon est depuis tombé dans l’oubli. Le MNHA lui rend hommage jusqu’au 26 mai.
Dans l’énorme paquebot qu’est le MNHA, il faut monter au quatrième étage pour découvrir la très belle exposition «Théodore Van Loon – Un peintre caravagesque entre Rome et Bruxelles». Un ensemble de 24 œuvres de ce grand peintre flamand du XVIIe siècle, tombé dans l’oubli au XIXe. «Quand la Belgique est devenue la Belgique et que l’on a créé des héros nationaux, on a gardé Rubens comme figure principale de la peinture de l’époque», note la commissaire scientifique de l’exposition, Sabine van Sprang, des Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles.
En comparaison, si la page francophone de Wikipédia sur Rubens comprend plusieurs pages, celle sur son contemporain Van Loon se résume à trois petites lignes. Pourtant, poursuit la spécialiste, au moment où les archiducs Albert et Isabelle lancent la construction de celle qui restera comme la principale église commandée par la cour bruxelloise du XVIIe siècle, la basilique Notre-Dame de Montaigu, dans le Brabant flamand, ce n’est pas à Rubens mais bien à Théodore Van Loon que l’on confie les tableaux. «C’est dire à quel point il était important au XVIIe siècle !», insiste Sabine van Sprang.
Une autre preuve de son importance passée se situe juste à l’entrée de l’exposition, avec cette gravure de Paul du Pont d’après un tableau de Van Dyck, qui représente Van Loon avec l’inscription : «Pictor humanarum figurarum majorum lovanii» (Le peintre de la figure humaine de Louvain).
Artiste énigmatique
Et quand on regarde les 24 œuvres présentées au MNHA, on n’a aucune difficulté à comprendre son succès passé. Ce qui étonne le plus est en fait la méconnaissance qui demeure autour de sa vie et de son œuvre. Sa date de naissance n’est d’ailleurs pas connue avec assurance –1581 ou 1582– contrairement à son lieu de naissance, Erkelenz, localisé aujourd’hui en Allemagne, mais dépendant alors des Pays-Bas méridionaux. Sa vie semble tout aussi peu documentée. «On ne connaît rien sur sa formation. On sait qu’il était en 1602 à Rome puis en 1612 à Bruxelles. Il est probable qu’il ait passé au moins dix ans en Italie, au moment où le Caravage installe ses tableaux dans les églises. Il assiste donc à la révolution caravagesque. Ce qui va beaucoup l’influencer», reprend celle qui étudie son travail depuis une décennie.
Pour continuer dans le mystère Van Loon, ses tableaux ne sont habituellement pas datés –à une exception près dans cette exposition– et, pour beaucoup, pas même signés. Ce qui fait même douter l’experte sur l’une des peintures présentes au MNHA, le David avec la tête de Goliath, et deux soldats. «Un très beau tableau, reconnaît-elle, mais je suis sceptique»: la couleur, par exemple, est différente, assure-t-elle.
Autre mystère pas tout à fait éclairci, qui est d’ailleurs l’un des points de naissance de toute l’exposition, L’Adoration des mages, que le public peut découvrir dans le grand mur du fond de la salle à gauche, une fois passé l’entrée de l’exposition. Un tableau que le visiteur va découvrir en double. Avec une composition quasiment identique, presque dans les mêmes dimensions –150×220 cm d’un côté, 160×242 de l’autre– mais çà et là quelque petites variations dans les couleurs, dans la hauteur des personnages, dans le fond. Une sorte de jeu des sept différences avec un chef-d’œuvre de l’art baroque. À gauche, le tableau est signé Théodore Van Loon, à droite, Jan Verhoeven, du nom d’un peintre malinois du milieu du XVIIe. Une copie de maître appartenant à la collection du MNHA, ce qui atteste, une nouvelle fois, de l’importance de Van Loon à son époque.
« Pas assez flamand »
Si L’Adoration des mages est fascinant, tout comme son Assomption, toute en verticalité, sa Sainte-Trinité avec la Vierge, Saint-Jean-Baptiste et les anges ou encore sa Vierge et l’enfant entre Saint-Jean-Baptiste et Saint-Jean-l’Évangéliste, la pièce maîtresse de l’exposition reste sa Pietà. Sabine van Sprang est d’ailleurs intarissable à son sujet : «Un tableau peint sur toile, alors que Rubens, une fois rentré d’Italie, se remet à peindre sur panneaux, explique-t-elle. Le fond est extrêmement sombre, les personnages sont modelés dans la lumière de façon extrêmement dramatique.» Et elle poursuit, pleine d’entrain : «Regardez ces ombres, très profondes (…) et ce personnage qui sort véritablement du tableau.» Une sensation presque tridimensionnelle encore plus forte dans la plus petite huile, mais fascinante, L’Adoration des bergers. Autant d’œuvres d’art religieux dont l’inspiration caravagesque ne fait aucun doute.
Mais voilà, si sa passion pour le Caravage, son clair-obscur et son ténébrisme a donné un grand intérêt à l’œuvre de Van Loon, elle a très probablement été l’une des raisons de son oubli. Considéré au XIXe siècle comme «peintre italien des Flandres», «pas assez flamand», Van Loon va voir son rôle dans l’histoire de la peinture être passé sous silence. Au XXIe siècle, c’est à des expositions comme celle-ci de le faire redécouvrir !
Pablo Chimienti