Durant deux mois, trois galeries luxembourgeoises laissent leurs murs à des confrères parisiens. Un échange «spontané et naturel» qui permet de renforcer la collaboration artistique, déjà riche, entre la France et le Grand-Duché.
Les peintures d’Alain Séchas réunies sous le nom «Fleurs et Cocktail», au doux parfum estival, correspondent bien à l’ambiance qu’il y avait jeudi soir au Marché-aux-Poissons, dans le cœur historique de la vieille ville : un brouhaha vivant, décontracté, entrecoupé de tintements de verres. Un apéritif entre amis-partenaires qui a lancé «Un été français à Luxembourg», soit un programme d’expositions, étalé sur deux mois, qui découle des échanges et collaborations déjà éprouvées entre six institutions : côté local, les galeries Nosbaum Reding et Fellner Contemporary. Côté parisien, Lelong & Co., Bernard Jordan et Laurent Godin.
«Inspiré» par le projet de rencontres multiculturelles «Berlin-Paris / Paris-Berlin», Alex Reding, instigateur du rendez-vous, ne fait que prolonger la philosophie qu’il a mise en place depuis quelques années avec la Luxembourg Art Week : faire du Grand-Duché une place qui compte sur le marché de l’art, tout en consolidant, en arrière-plan, un réseau tourné vers l’étranger. «Les galeries sont toujours en recherche de partenariats et de nouveautés!», confirme-t-il. Et bien qu’il ouvre, en septembre, une nouvelle succursale à Bruxelles, c’est bien vers la France qu’il se tourne ici, pour des raisons évidentes : une proximité effervescente, qui vire même à l’assemblage.
Des galeries «aux valeurs partagées»
«Il y a plus de Français qui travaillent ici que de Luxembourgeois !», rappelle-t-il à ses invités. D’où la nécessité impérieuse de ne pas négliger ce public, d’autant plus que la «tendance», elle, «ne fléchit pas». Pour inaugurer cette collaboration «originale et prometteuse», dixit Bruno Perdu, ambassadeur de France au Luxembourg, Alex Reding n’est pas parti à l’aveuglette, s’appuyant sur trois galeries «aux valeurs partagées» qui connaissent déjà le pays, au moins durant la Luxembourg Art Week à laquelle elles sont régulièrement conviées. «Quand on vient ici, on va voir les expositions et on se connecte aux artistes. Bref, on apprend !», lâche ainsi Bernard Jordan.
Son confrère Laurent Gaudin parle même «d’amitié» et de «spontanéité» pour évoquer la genèse d’«Un été français», projet né «sur le terrain» au gré des foires internationales et des rencontres en coulisses. D’ailleurs, certains des artistes présentés cet été ont déjà quelques connexions avec le Grand-Duché : Jan Voss a ainsi été mis en lumière par plusieurs expositions à la galerie Léa Gredt dans les années 1980-2000, et ses deux grands reliefs, impressionnants, squattent toujours la BGL BNP Paribas au Kirchberg. «Ici, c’est quelqu’un d’apprécié et de collectionné», témoigne la galeriste Nathalie Berghege-Compoint, comme pour appuyer la pertinence du choix.
Que dire alors d’Éric Poitevin, présent dans la collection du Mudam, habitant la région (il réside à Longuyon) et pourtant peu exposé au pays. «Le Luxembourg, c’est comme une sorte de cousin éloigné !», confie-t-il, avouant avoir connu Marco Godinho et Su-Mei Tse à leurs débuts. Une «petite histoire» qui prend donc, pour lui, de plus amples proportions, avec ses photographies de sous-bois et ses «portraits», poétiques et épurés, de fleurs, graminées et roseaux. «Attention, l’idée n’est pas de faire un herbier, ni un traité de botanique !», prévient-il dans un rire.
«Un automne luxembourgeois à Paris !»
De son côté, Jan Voss, 86 ans cette année, montre qu’il a toujours gardé son âme d’enfant avec ses peintures fraîches, joyeuses et grinçantes, combinaisons de signes proches du graffiti, d’écriture et d’éléments biomorphes agencés dans un chaos organisé. Et quand il ne peint ni ne dessine, il plie, comme l’atteste ce très joli travail qui trouve ses origines dans l’origami. La galerie Laurent Gaudin, elle, a préféré jouer la carte du collectif avec la réunion de six artistes, dont Vincent Olinet qui, quand il ne s’improvise pas perruquier pour balais, joue à l’illusionniste avec humilité (comme le suggère son œuvre Je ne peux pas faire de miracles).
Bref, le rassemblement se veut généreux et éclectique, ne serait-ce, comme le dit une des galeries invitées, que pour «élargir son public». En attendant de voir si la ville de Luxembourg sera plus animée en août que la capitale parisienne, l’idée que le projet fasse des petits (en mode biennale ou triennale) est déjà dans tous les esprits. Enfin, particulièrement de ce côté-ci de la frontière… «Les Luxembourgeois seraient ravis d’aller à leur tour à Paris !», lâche Alex Reding dans un appel du pied à peine masqué. Bruno Perdu, lui, a déjà le titre : «Un automne luxembourgeois à Paris !» Disons que ce serait un juste retour des choses, et une suite logique de cette coalition qui se veut pérenne. L’artiste Camila Oliveira Fairclough résume l’envie avec une phrase, qu’elle a inscrite à la bombe de peinture sur une de ses toiles : «Save the Date».
Grégory Cimatti
«Un été français à Luxembourg»
Galeries Nosbaum Reding & Fellner Contemporary – Luxembourg.
Jusqu’au 28 août.