Le Britannique Tony Cragg est considéré comme l’un des plus importants sculpteurs contemporains. Le Mudam le célèbre dans une imposante réunion d’œuvres, retraçant vingt années de réflexion sur la matière.
Comment faire vibrer la matière et la rendre «libre»? Voilà le postulat de création de ce sculpteur-inventeur,qui use de différents matériaux et les confronte à des notions aussi variées que l’espace, le temps, le mouvement ou encore l’énergie.
Dire qu’il vit et enseigne à Wuppertal (Allemagne) est un symbole qu’il ne faut pas négliger. Si Tony Cragg est bien anglais – il est né en 1949 à Liverpool –, son œuvre plastique, en partie, s’appuie sur le mouvement, fondement ô combien essentiel pour la vedette de la ville, la chorégraphe Pina Bausch. Car lui aussi défend une pratique sans frontières, dans une envie de repousser les frontières de son art. Lui aussi raisonne en termes d’énergie et de fluidité. Lui aussi, enfin, refuse d’être passif, se veut « acteur ». « Manipuler le matériel, sentir les formes, c’est ça, la création! »
En somme, une émotion – « ce qui compte, c’est la manière dont le matériau et la forme nous touchent », dit-il encore – relayée par le Mudam à travers une vaste exposition survolant plus d’une vingtaine d’années de production, montrant au passage la productivité hors du commun de l’artiste. Depuis longtemps, en effet, Tony Cragg s’interroge sur la matière, son sens, sa réappropriation – rappelons qu’à vingt ans, il a travaillé comme assistant dans un laboratoire de recherche dans l’industrie du caoutchouc.
Une curiosité de tous les instants, source d’une création qui se mue au fil du temps, créant ainsi un univers sculptural dans lequel différentes «familles d’œuvres» se ramifient, puis évoluent en parallèle pour donner naissance à d’innombrables variations. Influencé, au départ, par le minimalisme et l’Arte Povera (de l’italien « art pauvre»), Tony Cragg utilise des techniques rudimentaires de création telles que l’assemblage, l’empilement ou la dispersion d’objets quotidiens ou de déchets.
Un monde « médiocre, répétitif et ennuyeux»
Est-ce, du coup, son rejet de la société de consommation et du système de production industriel – dont « la logique utilitariste et économique» conduit à un monde fabriqué «médiocre, répétitif et ennuyeux » – qui l’a conduit à s’affranchir de la logique libérale pour prendre des chemins de traverse? Quoi qu’il en soit, Tony Cragg ne jure que par des termes comme « liberté » et « innovation ». « Développer une nouvelle langue, de nouvelles associations, de nouvelles idées, c’est la fonction la plus importante de l’art », clame-t-il. Un fil rouge, mieux, une philosophie qui s’observe et se confirme au fil des œuvres présentées au Mudam – dont deux appartenant à la collection propre du musée : Dining Motions (1982) et Forminifera (1994).
On passe ainsi des «Early Forms» dérivées de récipients de laboratoire qui, par étirement, allongement ou torsion, deviennent des formes autonomes aux «Rational Beings», figures organiques obtenues à partir de formes géométriques par gonflement et germination. Avec lui, le verre, le bois, le plastique, le bronze, le plâtre, l’aluminium ou encore la pierre se confrontent à l’espace et au temps, au mouvement, aux microstructures et aux macroassemblages. La palette de Tony Cragg témoigne de toutes les métamorphoses successives de l’objet, qui se rematérialise à l’infini.
Grégory Cimatti
Mudam – Luxembourg. Jusqu’au 3 septembre. À découvrir aussi : Darren Almond – «Timescape» ; Samuel Gratacap – «Empire». Jusqu’au 14 mai.