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[Expo] Les naufragés de l’ombre de Cédric Delsaux


Après sa serie "Dark Lens", avec ses personnages de Star Wars plongés dans des décors urbains fantomatiques, le photographe Cédric Delsaux poursuit son exploration des angoisses récurrentes de l'humanité avec "Underground Society". À découvrir d'urgence à la Wild Project Gallery. (Photo : DR/Cédric Delsaux)

Après sa série «Dark Lens», avec ses personnages de Star Wars plongés dans des décors urbains fantomatiques, le photographe Cédric Delsaux poursuit son exploration des angoisses récurrentes de l’humanité.

«L’Homme passe son temps à vivre avec les ténèbres, et il y plonge de manière régulière»… Cédric Delsaux, qui se définit comme un «ancien optimiste», a imaginé, devant ce dur constat, cette «Underground Society», faite de personnages tragiques plongés dans la poussière et l’obscurité.

Cédric Delsaux n’est pas un inconnu au pays. Déjà convié au Mois de la photographie il y a quatre ans, au Cercle Cité, il y présentait une petite partie de «Dark Lens», série qui a connu un succès à l’international en raison de ses références à la saga Star Wars. Même l’inventeur George Lucas a accroché avec l’approche fantomatique et urbaine de l’artiste français, au point de lui laisser carte blanche et de lui acheter plusieurs livres sur lesquels, de surcroît, il a signé la préface. «J’en suis sorti», lâche, dans un souffle, l’intéressé, lui qui, à l’époque, se sentait totalement «bloqué» par un projet devenu sûrement trop imposant pour lui. «Il fallait que je passe à autre chose.»

Il y eut d’abord «Zone de repli», travail avec lequel il s’est replongé dans le cas Jean-Claude Romand, père de famille sans emploi qui, après s’être inventé pendant 18 ans une vie de médecin et chercheur réputé, a assassiné toute sa famille en 1993, au moment où il allait être démasqué. Une œuvre «creuse les mêmes obsessions», en équilibre entre le fantastique et le quotidien. Il confie : «Tout est une histoire de hantises! On se balade avec nos fantômes, nos fictions que l’on entretient, le tout dans un décalage subtil par rapport à la réalité. L’illusion, c’est de croire que l’on est dans le réel!»

«Aussi bourreaux que victimes»

Ce léger pas de côté par rapport au fonctionnement du monde, Cédric Delsaux en a fait sa spécialité, sa signature. Pour preuve, cette galerie de personnages issus des bas-fonds, sans racines ni époque, présentée à la Wild Project Gallery, pour le coup plongée dans la pénombre pour mieux révéler l’atmosphère ténébreuse. Et encore, «je voulais peindre tous les murs en noir», lâche-t-il. Son «Underground Society», série débutée en 2011 et forte aujourd’hui d’une quarantaine de clichés – une dizaine sont présentés dans la capitale – est née d’un constat schizophrène, comme peut l’être la société moderne.

«Quand je regardais les couvertures de magazines ou les affiches de certains films, je constatais une apologie de la violence, de la guerre, mais jamais explicitement reconnue. On la célèbre au cinéma ou dans les jeux vidéo, mais elle nous effraye durant le journal télévisé. J’ai trouvé ça bizarre, comme si une société secrète, que l’on tolérerait, remontait parfois à la surface», avec ces types armés et ces visages terrorisants.

Derrière lui, une sorte de shérif moderne masqué confirme ses propos, mais le photographe va plus loin et imagine toute une caste de figures tragiques, de la cantatrice au dictateur en passant par le religieux. Mais si ces naufragés de l’ombre rappellent un peu le dernier Mad Max de George Miller – qu’il n’a «pas vu» –, Cédric Delsaux se défend de toute uchronie. Et pour cause, «la catastrophe, on vit en plein dedans!». D’ailleurs, «Underground Society», selon l’artiste, est perçue différemment depuis les récents attentats. Et ces personnages tragiques, volontairement «ambivalents», «tout aussi bourreaux que victimes», sont le symbole puissant de cette désolation et de ce désastre en cours.

La cantatrice, du rire à l’abattement

«On joue en permanence avec le feu, on frôle la catastrophe», confie ce nietzschéen, «ancien optimiste» qui, contrairement aux figures de son invention, ne court pas après les chimères. «Ils ont eu leur grand moment, mais il est depuis perdu. Ils s’accrochent à leur passé. Ils sont, dans un sens, le symbole de notre époque, où beaucoup de choses disparaissent.» Un monde auquel il a pourtant collaboré, à travers notamment son travail dans la publicité. Mais promis, on ne l’y reprendra plus!

«On nous vend une société « sur-heureuse », où le progrès va tout guérir. Mais on n’a plus le mode d’emploi, et la religion ainsi que le communautarisme ne mènent à rien.» Même ses modèles – libres d’apporter leurs «références, souvenirs, histoires et sensibilités» dans son œuvre – ont dû se faire à cet alarmisme ambiant. À l’instar de cette cantatrice à la coiffe splendide et à la kalachnikov planquée sous sa robe. «C’est une comédienne joyeuse, mais je la voulais tragique. Elle n’arrivait pas à tenir son rôle. Je l’ai saisie en une demi-seconde, à un moment de lassitude et d’abattement.» «Underground Society» serait donc l’«instant où ça ne marche plus».

Une tonne de poussière lancée «en direct» devant l’objectif montre, enfin, que les hantises actuelles sont faites de devenirs apocalyptiques et que, dans une certaine évidence, on redeviendra tous des cendres. Une troublante obscurité d’une «époque flippée» qui n’enlève pas, toutefois, une part de lucidité. «C’est de l’aveuglement que naît la catastrophe, conclut-il. Et quand on est tout au fond du trou, l’espoir reste de mise.»

Grégory Cimatti

Wild Project Gallery – Luxembourg.

Jusqu’au 13 mai.

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