Samedi, le Centre Pompidou-Metz ouvrira au public «Face à Arcimboldo», une exposition spectaculaire. Une plongée dans le monde de l’artiste italien à travers des œuvres célèbres et rares, mises en dialogue avec celles de grands noms de l’art contemporain.
Face à Arcimboldo, il devait y avoir Chagall. Initialement prévue dans la Galerie 3 du Centre Pompidou-Metz, l’exposition autour du peintre italien et de son univers sera finalement présentée dans la Grande Nef du musée, au rez-de-chaussée. La symbolique eût été trop lourde : avec Chagall, l’espace est traversé de toutes parts par la lumière, celle-là même qui donne vie à ses vitraux, tandis que «Face à Arcimboldo» propose un grand voyage à travers l’histoire de l’art qui commence dans la pénombre et se termine dans la lumière.
Avec Giuseppe Arcimboldo (1527-1593), ceux qui l’ont précédé et ceux qui l’ont suivi, la symbolique ne manque d’ailleurs pas. «Tout signifie, à deux niveaux», écrivait en 1978 le philosophe Roland Barthes dans son essai Arcimboldo. Rhétoriqueur et magicien. L’artiste n’inspire pas le regard pragmatique, encore moins lorsqu’il entre dans un musée d’art contemporain; là, on lui tire le portrait d’une autre manière. «Un portrait subjectif et intellectuel», assure la directrice de Pompidou-Metz, Chiara Parisi. «Tout signifie, répète Barthes, et pourtant tout est surprenant.»
À commencer par la première pièce qui attrape l’œil du visiteur : une installation de l’artiste Mario Merz, représentant de l’«arte povera», qui associe trois œuvres, un crocodile, une table recouverte de fruits et un cône en osier, comme une immense corbeille de fruits. On plonge déjà dans l’univers anthropomorphe cher à Arcimboldo, en en déconstruisant les éléments et en mettant face à face l’art contemporain et le XVIe siècle.
Les trois œuvres de Merz vivent séparément, mais elles sont ici réunies dans une même installation pour la première fois depuis près de 35 ans. La première fois, c’était en 1987, au Palazzo Grassi de Venise, à l’occasion de l’exposition «L’effet Arcimboldo», première exposition monographique consacrée à l’artiste italien. L’une des visiteuses de l’exposition était une jeune Chiara Parisi, à l’occasion d’un voyage scolaire.
Aujourd’hui, elle ne cache pas sa joie de voir ce projet, qui trottait depuis longtemps dans sa tête, devenir réalité, à quelques heures de son ouverture au public. «Face à Arcimboldo», première exposition en tant que commissaire de Chiara Parisi, qui a pris ses fonctions dans le musée messin fin 2019, est donc bien tout un symbole.
«Passeur et superstar»
«On parle beaucoup de certains génies : Picasso, Léonard de Vinci… Arcimboldo, lui, n’était pas considéré comme un génie. De fait, c’est un passeur. Et les artistes qui ouvrent la voie ont plus de difficulté à être reconnus, mais ce sont aussi ceux dont le travail est le plus significatif dans le temps», assure la directrice du musée. Ses célèbres portraits suggérés par des fruits, des légumes et des fleurs arrivent avant même les natures mortes et l’art baroque. Et plus de 300 ans après sa mort, Arcimboldo le visionnaire a été redécouvert par les surréalistes.
Avec «Face à Arcimboldo», le Centre Pompidou-Metz va plus loin : l’artiste entre en grande pompe dans le temple de l’art contemporain pour que ressorte mieux son côté prophète, toujours valable aujourd’hui. Entre hier et aujourd’hui, des liens sont créés, «tantôt pour souligner l’empathie, tantôt pour souligner le paradoxe», déclare Chiara Parisi.
Celui que la directrice considère comme une «superstar» de l’époque – Arcimboldo était populaire, notamment parce qu’il était le peintre officiel de la cour des Habsbourg, où il officiera sous trois empereurs différents – se retrouve donc en compagnie d’autres vraies «pop stars» : Francis Bacon, Maurizio Cattelan, Cindy Sherman, Gilbert & George, Salvador Dalí, Pablo Picasso, Giorgio De Chirico, Marcel Duchamp, René Magritte…
Des plus grands noms de l’art du XXe siècle à aujourd’hui, il n’en manque pas, ou presque. Chiara Parisi : «Arcimboldo est une figure mythique, qui a été déterminante pour eux. Dans ce qu’ils font aujourd’hui, on trouve du portrait, des fragments de corps, des éléments naturels… Tout cela fait partie de cet univers qui était celui d’Arcimboldo.»
«Les œuvres les plus significatives, les plus rares aussi»
La richesse de l’exposition n’a d’égale que la singularité des œuvres, en particulier quand il s’agit des contemporaines. Et malgré la présence de 230 œuvres pour 130 artistes, Chiara Parisi explique qu’«il a fallu faire des choix» pour arriver à un corpus qui soit à la fois complet et pointu. «On a procédé par thèmes : le jardin, l’image qui en cache une autre, l’érotisme… À partir de cela, nous avons mis le doigt sur les œuvres qui nous semblaient les plus significatives, les plus importantes, et les plus rares aussi.»
À l’image des six dessins sur papier calque de Dalí, qui, une fois superposés, révèlent le tableau complet, ou le Pink Narcissus de Tim Boble et Sue Webster, un amoncellement de pénis en silicone dont l’ombre projetée forme un visage à deux faces. Sans oublier les deux œuvres de Maurizio Cattelan, «maestro du scandale», dont un globe (Sans titre, 2019-2021) autour duquel figurent de petites sculptures réminiscentes de ses précédentes œuvres (un doigt d’honneur, le sigle d’Hollywood, un buste d’Hitler…).
De l’aveu de Chiara Parisi et de sa cocommissaire, Anne Horvath, Maurizio Cattelan a été un allié précieux dans la réalisation de «Face à Arcimboldo», avec une attention particulière aux techniques artistiques représentées, complètes (peinture, sculpture, dessin, photographie, collage, vidéo, installation…).
Mais, bien loin de ne se dédier qu’aux échos contemporains d’Arcimboldo, l’exposition spectaculaire, dans sa scénographie «aussi créative que les œuvres qui sont montrées», propose de commencer à Pompéi, dans les salles sombres où trône un vitrail réalisé par Arcimboldo et son père, et qui serait la première œuvre connue de l’artiste.
«On souhaitait que le visiteur puisse se perdre»
Déjà, influences et influencés se mélangent à Arcimboldo lui-même dans cette première étape d’un voyage qui commence par la découverte d’un cabinet de curiosités où des croquis d’Arcimboldo côtoient des plans pour des machines impossibles ou le buste d’une femme à barbe, photographié par l’Américaine Zoe Leonard.
Au fil de la visite, la lumière entre toujours plus dans l’espace d’exposition, dont les salles, trompeuses, sont délimitées par des murs en béton cellulaire. La traversée de la nef «est comme un passage alchimique», dit Chiara Parisi. «L’idée était de pouvoir se balader comme dans une petite citadelle : il y a des places, des ruelles, des croisements… On souhaitait que le visiteur puisse se perdre, oublier le temps qu’il a passé ici, et qu’au détour d’un chemin, il découvre une autre pièce.»
Arcimboldo, lui, est dans toutes les pièces, et son aura rayonne même dans les recoins les moins éclairés de l’exposition. Sa pièce maîtresse, Le Printemps (1563), portrait sublime uniquement composé de fleurs, ne manque même pas à l’appel : ce prêt du musée du Prado, à Madrid, est le plus impressionnant, même si d’autres – De Chirico par la Tate Modern de Londres, les dessins d’Arcimboldo par la Galerie des Offices de Florence… – sont tout aussi importants.
Et après s’être imprégné de l’univers d’Arcimboldo, représenté par lui-même, par les «arcimboldesques» et par les contemporains, on se retrouve devant un deuxième cabinet de curiosités en haut duquel trône un crocodile pendu par la gueule – l’autre provocation de Cattelan – et rempli d’animaux hybrides. Et, au centre, Arcimboldo, toujours, dont les portraits veillent à l’équilibre parfait entre cauchemar et fantastique…
Valentin Maniglia
«Face à Arcimboldo», à partir du samedi 29 mai et jusqu’au 22 novembre. Centre Pompidou-Metz.